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Cannes 2016

From the Diary of a Wedding Photographer  de Nadav Lapid

#12 Semaine de la critique

7.4

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La mariée et le photographe

Nous retrouvons Victor pour un entretien autour du court-métrage de Nadav Lapid, l’occasion de parler d’amour.

HP - Hier, nous avons vu à la Semaine un double programme “50+5” qui rassemblait deux courts-métrages. Le premier, Los Pasos Del Agua de César Augusto Acevedo, parle de deux pêcheurs qui trouvent un cadavre, souhaitent l’enterrer mais tombent sur un squelette et donc remettent le cadavre à l’eau. Le deuxième est le film de Nadav Lapid, From the Diary of a Wedding Photographer, que l’on peut supposer autobiographique puisque que Lapid était photographe de mariage.

VB - J’étais là juste pour celui-ci. Il s’agit de son troisième film après deux longs-métrages, Le Policier et L’Institutrice. Le premier était intrigant, même si je le trouvais parfois convenu, mais L’Institutrice était plus surprenant et se confrontait à la poésie pour entraîner justement une transfiguration formelle. C’était un film vraiment important, et ce court-métrage est dans la continuité. C’est un objet ingrat, dont la forme se cherche sans cesse, mais il passionne. From the Diary of a Wedding Photographer prend la forme d’un journal intime, enfin pas exactement...

HP - Oui, c’est assez étrange. Au tout début, alors que le père raconte avoir fait 700 mariages, le caméraman croit que la caméra ne filme pas quand le voyant est rouge, et qu’elle filme quand il s’éteint. Les prises cadrées n’ont donc pas été enregistrées, tandis qu’il a quantité de rushes de plafonds, de pieds, de sol… Et tout ça il le raconte à son fils, en expliquant que c’est précisément ce qu’il a filmé sans le vouloir qui lui a permis de découvrir une forme de réalité du mariage. En même temps que le vécu, c’est l’intention du film qui se trouve ainsi expliquée dès la scène d’ouverture. A la fin du film, on le retrouvera au lit avec la première mariée dont il filmait le mariage. Le photographe de mariage travaille sans cesse à défaire l’union.

VB - Il y a cette très belle phrase dans le film : « un mariage, c’est toujours la mariée et le photographe ». C’est une tautologie, notamment dans cette scène finale, mais la phrase indique moins une ligne directrice qu’un rapport assez brut à la caméra. On trouvait déjà ça dans L’Institutrice : dans une scène de dispute, un personnage se heurtait soudain à l’appareil. Cet accident qui se répètera n’a pas d’influence sur le déroulement du film, mais la perturbation est là, la caméra est physiquement mise en jeu.

Dans ce court-métrage, on commence avec des cadres très agités, ce que tu as décrit tout à l’heure. Mais au lieu d’aller à contre-courant, on retrouve très vite une mise en place très posée, avec des caméras fixes, etc. La caméra agit comme un prolongement physique du caméraman, quand celui-ci enlace la mariée par exemple, et que l’appareil vient toucher son fessier, comme un organe sexuel.

HP - Je ne dirais pas que c’est seulement sexuel. Le personnage filme, et ne prend en fait aucune photo. Lapid s’introduit ainsi avec la caméra du personnage dans un tissu bien défini : celui, lisse, du film de mariage. Il découd en permanence des motifs, des relations, notamment entre le marié et la mariée.

VB - C’est très ludique : il y a une recomposition permanente de l’espace et de l’image. On passe de la mise en scène d’un mariage à un autre, et tel mouvement de caméra est trompeur... Pour en revenir à la caméra, “sexuel” n’est effectivement pas le bon mot, mais il y a quelque chose d’affectif et d’intrusif en même temps qui passe par l’appareil. La caméra est à la fois un bouclier, un objet de séduction et une compagne. Elle révèle une femme nue qu’on trouvait en hors-champ, et dans certaines prises de vue, que l’on imagine inutilisables, la caméra du filmeur colle à la peau du sujet...

HP - Oui, la caméra opère des raccords et capte des choses en même temps. Quand le filmeur affirme avoir filmé 700 mariages, il tire à lui une énergie, évidente quand il « aide » les mariées à fuir leur mariage et à le faire échouer. Ce n’est pas Peeping Tom mais ça reste de l’ordre d’une captation par la caméra, et par la caméra uniquement.

VB - L’essentiel est de découvrir dans ces scènes un peu sordides un vrai plaisir, de développer un humour. Les séquences nous font passer d’un plan gênant à quelque chose de plus rigolard, avant une autre scène qui donne elle l’impression d’avoir assisté à un meurtre... C’est comme une installation dans une imagerie préexistante, publicitaire, qu’on vient chahuter. La plage paradisiaque…

HP - Oui, le désert : c’est à la fois un rempart et un instrument de dispersion. Il arrive à créer un espace d’intimité en plein désert, ce qui est à double tranchant.

VB - Bellocchio avait réalisé un film il y a une dizaine d’années, Le Metteur en scène de mariages, qui prenait le même personnage principal. C’était moins un filmeur que quelqu’un qui organisait les cérémonies, mais il remettait déjà en question le couple moderne et les affèteries de “l’incommunicabilité”. Lapid reprend l’aspect publicitaire et clinquant de l’image parfaite du couple dans un Israël dont on imagine qu’il connaît un retour à l’ordre moral. Il y a d’ailleurs un gag cinglant : un marié demande que la mosquée ne soit pas dans le champ et, dans la ronde qui suit, le caméraman n’arrive pas du tout à suivre, tourne sur lui-même avec un temps de retard, ett la mosquée revient nécessairement dans le champ. Le film nous dit qu’on peut rire devant des scènes de couples qui sont dans une illusion d’humour comme d’amour, même mises en scène par quelqu’un qui a conscience de la place de la caméra. C’est le film qui m’aura le plus passionné à Cannes, je lui mets 8.7.

HP - Je vais mettre 6, ça nous fait un 7.4 si on arrondit.

par Hugo Paradis, Victor Bournerias
mardi 24 mai 2016

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