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INTERVENTION #50

A un homme sûr de ses idées

Dans le numéro d’octobre de Positif, Michel Ciment signait un éditorial particulièrement virulent à l’égard de certains de ses confrères : http://www.revue-positif.net/n668_files/edito.pdf

Il y reprochait à ceux qui avaient défendu Nocturama d’être fascinés par la violence en politique, et de rejoindre en cela l’extrême droite. La charge se contentait de citer les textes incriminés, sans expliciter la position intellectuelle qui la sous-tendait. C’est précisément ce à quoi s’est attaché Eugenio Renzi, en lui faisant une réponse sur Facebook, datée du 4 octobre dernier.

Nous sommes loin de partager l’intérêt de notre ami pour le film de Bonello, loin aussi de vouloir défendre Télérama, Le Monde ou Libération face à Positif... Nous reprenons cependant ci-dessous la réponse d’Eugenio pour ouvrir avec lui une discussion sur le contenu ou le questionnement politique d’un film tel que Nocturama. L’échange fera l’objet d’une prochaine publication.

La Rédaction

Pénible. Michel Ciment fait partie de ces gens qui n’aiment pas le cinéma, mais uniquement leurs propres opinions et les films qui s’accordent avec celles-ci. Il se trouve que ses opinions à lui sont particulièrement réactionnaires. Mais le plus grave n’est pas là. C’est cette idée positiviste du cinéma, de l’art en général, qui est pénible et qui, plus que tout autre préjugé, fait réellement obstacle à la compréhension. C’est l’idée d’un art réduit à son contenu, et donc borné à une fixité appauvrissante. Comme si l’art de Dostoïevski, que Michel Ciment évoque dans son pamphlet, gisait dans ses positions politiques alors que si l’on continue de le lire et de l’aimer c’est précisément que, par delà ses positions extrêmes, orthodoxes et légitimistes, par delà sa haine de la modernité, de l’occident, des intellectuels libéraux, il pouvait tracer des figures humaines effectives, des typologies d’hommes et de femmes qui, dépassant l’histoire russe, le contexte politique, et même les personnes réelles qui les avaient inspirées, inspirent la réflexion. Le cinéma, pas moins que la littérature, n’est pas un art positif. C’est un art mobile, dynamique, par nature dialectique.

La double dimension du dépassement de son propre contenu et de la priorité donnée à la forme, qui est le propre de l’art et du cinéma, et qui est à l’origine de la critique moderne, que l’on appelle l’art d’aimer, échappe complètement à Michel Ciment, qui, lui, ne connait que l’art de haïr.

Or, ce qu’il faut voir dans un film n’est pas sa couleur politique. Mais comment il a réussi, ou raté, la mise en scène d’une question politique. L’importance de cette distinction, entre un cinéma politique (forcément positif) et un cinéma qui se pose la question du politique (forcément dialectique), que Michel Ciment ignore, n’échappe pas à Bertrand Bonello. Ce dernier affirme très justement que son métier consiste à se demander où placer la caméra : en ceci ne disant rien que Godard et Rivette n’aient déjà fait ou expliqué. Devant ce questionnement, Michel Ciment répond, lui, avec la haine du dogmatique, de l’homme sûr de ses idées. Mais, c’est connu, devenant positif, l’esprit renonce à se demander : pourquoi ? Et le moins pénible n’est pas de constater que cet esprit dont la revue qui lui donne la voix est porteuse en contamine d’autres, qui pourtant auraient bien d’autres anciens que Ciment dont ils pourraient profitablement écouter la leçon.

par Eugenio Renzi
mardi 15 novembre 2016

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