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Kiss and Cry  de Lila Pinell et Chloé Mahieu

Manque de confiance - ACID #2

KISS AND CRY de Lila Pinell et Chloé Mahieu

4.0

4.0

HP : Kiss and Cry est une fiction sur une jeune fille, Sarah, poussée à faire du patin à haut niveau par sa mère. Elle est en même temps en pleine adolescence, dans une phase de jeu vis-à-vis de son corps qui fait l’objet d’un regard particulier. Le film joue sur l’antagonisme entre le dévouement au patin qui instaure une forme de discipline et les désirs qui poussent Sarah à aller contre ce rythme réglé, à bouffer de tout, à aller en soirée draguer des mecs. Le film dresse en même temps un portrait de Sarah et de ses copines, entre rivalité, violence adolescente et complicité, notamment dans le rapport au corps et aux garçons. Le film est aussi intéressant lorsque Sarah s’engueule à mots couverts avec son mec : chacun campe littéralement sur ses positions sans trop regarder l’autre, en même temps que les reproches fusent.

Cela dit je voudrais revenir sur certaines scènes typiques d’une certaine tendance d’un jeune cinéma français : ces scènes d’onirisme avec musique électro pulsant en arrière-plan, qui viendraient comme une élévation dans le rythme plus naturel, plus terre-à-terre du film.

VB : La scène la plus onirique du film — celle qui nous montre Sarah patiner dans un décor de brume — reprend une musique de John Carpenter. Il y a quelque chose d’énervant dans cette manière de chercher une forme de caution branchée par la citation du genre, alors que par ailleurs le film n’a rien d’un “film de genre”. Il y a en aussi des problèmes de rythme, et l’onirisme est là comme une sorte de bricolage dans un énième film qui mélange fiction avec des amateurs et documentaire travaillé, d’où beaucoup de scènes peu dialoguées et d’échanges un peu pénibles. Le film cherche surtout à mettre en scène des natures, comme ce prof de patinage artistique qui devient vite agaçant. L’ensemble déroule un programme : on voit très vite ce qui va se jouer et à partir de ce moment-là on ne nous ménage aucune surprise.

HP : Effectivement, la mère est aussi très uniforme dans son rôle de mère obsédée par la réussite de sa fille. Mais pour moi le problème de regard se manifeste surtout dans ces scènes d’onirisme. On ne comprend pas quel regard elles prolongent : pas celui de la fille, que le patin intéresse peu, pas celui de la mère qui veut voir sa fille réussir mais n’a pas l’air de s’intéresser au patin comme pratique artistique ou esthétique…. Ces scènes semblent proposer une troisième voie qui n’appartient à aucun personnage et qui devrait charger le patin de mystère et de sensualité visuelle sortis de de nulle part. Comme une forme-témoin de ce qu’on ne verra jamais, ni dans le patinage tel que les filles le rejettent, ni dans l’entraînement qui n’est pas vraiment filmé. Même le travail du corps, qui doit être phénoménal dans ce type de parcours, n’est pas traité.

VB : Oui, on les voit s’entraîner, mais on sent qu’il n’y a pas d’appétit pour ça. Le film passe toujours par des dialogues. C’est l’un des ratés du film, il n’y a pas de volonté de s’intéresser cinématographiquement au patinage artistique. Le film serait le même si elle était championne de mots croisés. Il y a une esthétique, des costumes qui reviennent, mais ce qui intéresse vraiment le film, c’est la discipline sportive et l’entre-soi féminin face à l’adolescence et les changements qu’elle implique. Mais ça reste trop programmatique, sans beaucoup déroger à ce programme. Le film traite son sujet comme un quotidien permanent, tout en en restant très loin.

HP : Tout à fait, même les séquences oniriques sont brouillées, beaucoup d’effets visuels dissimulent en partie le corps de la patineuse. On a aussi ces visages de juge qui défilent en gros plan sur fond d’électro, sans qu’on n’aille jamais vers ce qu’est le fait de juger, de qualifier des performances. Ces séquences enlevées sont comme un effort de respiration qu’on n’arriverait pas à trouver dans le sujet.

VB : Pour moi c’est plus une manière d’imprimer des images de cinéma sur un objet qui la plupart du temps ne cherche pas à en avoir, comme si le film voulait affirmer un style au-delà de son projet volontairement réaliste.

HP : Oui, il y a comme une méfiance vis-à-vis des séquences « normales ». C’est l’inverse de Pour le réconfort, le film de Vincent Macaigne, qui s’inscrit en plein dans ses images ingrates et développe son geste dedans. Lui n’essaie pas de transcender ses images, il ne renie rien.

VB : Kiss and Cry m’a fait penser à un autre film qui se termine sur une grande séquence de patinage, Travolta et moi. Dans ce film, aucune image onirique mais un caractère cauchemardesque qui découle du côté fiévreux et habité du film.

HP : Complètement, on retrouve également la révolte adolescente. Tout est parfaitement incarné dans Travolta et moi, avec l’horreur de la fin qui rappellerait De Palma et son Carrie.

VB : On pourrait même douter du caractère illusoire de certaines choses dans Travolta et moi, comme l’explosion de la boulangerie, mais le film ne le pose jamais comme une barrière.

HP : C’est peut-être cette trop grande timidité qui pêche dans Kiss and Cry, à moins que ce soit un manque de confiance dans des images qui ne seraient pas assez signées, pas assez ouvertement mises en scène, je ne sais pas trop.

par Hugo Paradis, Victor Bournerias
samedi 10 juin 2017

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