Vendredi 1er avril, 3 strates de jazz
Archie Shepp à Alger de Théo Robichet.
4.4
Don Cherry de Jean-Noël Delamarre et Horace Dimayot.
5.3
Mingus 1968 de Thomas Reichman.
6.2
Plongée au coeur du jazz, ce soir, au cinéma 2. Plus nous nous enfonçons, plus le temps se dilate, plus les films s’allongent. Cela commence par Archie Shepp à Alger, 16 minutes de (very) free-jazz, sur une scène en noir et blanc aux faibles contrastes. L’espèce de transe qui commanda, en 1969 au premier festival panafricain d’Alger, au boeuf partagé par des musiciens touaregs et américains, ne parvient pas à atteindre la salle de Beaubourg, en dépit du montage, very free lui aussi. On regarde mais sans y participer, ce genre de cérémonie musicale donne plutôt mal au crâne, surtout quand le propos politique (c’est le temps des Black Panthers) superpose le crépitement de mitraillettes au bruit des cymbales.
Plus profond. Nous ne sommes plus dans le public, mais avec les musiciens. Love. Peace. Music. Wisdom. Don Cherry, qui n’était alors que le père de Neneh, joue de la flûte dans la forêt - free-flûte, cela va sans dire – chevauche les gargouilles de Notre-Dame, se téléporte à la grande mosquée de Paris puis au département des antiquités égyptiennes du Louvre. Nous sommes sous acides, en 1967.
Après la foule transportée, après le disciple en quête spirituelle, voici la figure du prophète. Les 60 minutes en huis clos du film de Thomas Reichman contiennent la dernière nuit que passa Charlie Mingus, en compagnie de sa fille, dans un appartement dont la police vint le déloger à l’aube. C’est Sartre mâtiné de Gibran (on demande à Mingus de s’exprimer sur la musique, l’amour, l’éducation...), de Beckett (des intermèdes musicaux, aux contrastes si élevés qu’on se croirait dans Sin City ou dans les illustrations du Journal du Réel, viennent rompre la monotonie de ces discussions vouées à couvrir le sentiment de la fin) et finalement de Kafka (Mingus affirme ne pas savoir pourquoi on l’arrête). Inscrit dans le cycle Hors Scène Ecoute voir !, dont le film sur Glenn Gould faisait partie, Mingus 1968 invite le spectateur à rejoindre l’intimité de l’un des grands musiciens du XXe siècle, tout en faisant écho aux monologues des Noirs d’American Passages. L’une des occupations de la fillette consiste d’ailleurs à jouer à casser des cordes, écho encore à la blague sudiste des chasseurs de Last Buffalo Hunt, qui faisait référence aux lynchages. C’est une nouvelle forme de résistance qui s’enseigne ici, non sans humour : Mingus fait goûter du vin à sa fille et explique qu’au moins, quand un garçon essaiera de la faire boire, il tombera le premier. C.B.
Deux fois des centaines d’histoires
Underground Rock Stars de Lech Kowalski.
Difficile de préciser le statut du film de Lech Kowalski (ici, un long entretien avec LK revient sur sa vie, ses films) au delà du work in progress. La projection de vendredi soir d’Undeground Rock Stars est à la fois l’aboutissement d’une commande faite pour le Réel et le début d’un travail simple et complètement fou à la fois : faire quelque chose de 500 heures de film consacrées à la scène punk américaine. « Something » dont Lech Kowalski lui-même ignore encore la nature, mais pour lequel il envisage d’utiliser internet, sans savoir non plus « How ». Dans le programme du festival, la projection de ce vendredi soir était présentée comme un événement. C’en fut un, assurément, que d’avoir eu sous les yeux, pendant un peu plus d’une heure, un matériau temporairement travaillé. Ce résultat partiel, on ne sait pas s’il sera gardé, si l’on continuera plus avant, si l’on reviendra en arrière. Peut-être n’y a-t-il là que les prémisses d’un travail de réanimation d’archives, ou même un brouillon. En soi, c’est déjà passionnant.
Tel qu’il est présenté, le film est une biographie in abstentia de Johnny Thunders, leader charismatique des New York Dolls, à qui Kowalski avait déjà consacré un film, Born To Loose. A l’écran, les visages d’illustres anonymes qui l’ont connu se dédoublent, s’approuvent et se contredisent, reprennent possession de l’espace, reculent et se dédoublent encore. Pour ranimer ses archives, Kowalski semble adopter avec humour et sans souci de progression visible le principe de la division cellulaire. Et ça marche. Si ça marche déjà, qu’attendre du reste ? L’ébauche à elle seule est un régal. N.L.