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Viennale 2009, #5

Pour faire court

2 novembre, 14h. Les programmes de courts-métrages promettent toujours à boire et à manger, mais ils sont ce que la Viennale cadre le mieux. Alors qu’ailleurs tout est généreusement mis à plat, chaque programme court est conçu de manière à faire progressivement apparaître un seul enjeu plastique ou formel, des variations sur un thème qui se trouve à la fois dans les films et l’idée selon laquelle on invite à les lire. C’est au moins un enjeu critique, qui peut rendre ces programmes plus intéressants qu’une simple addition de films bons ou mauvais. Avant de rejoindre la Kunstlerhaus où seront projetés les trois segments de Visitors, livraison 2009 du Jeonju Digital Project, festival coréen dont chaque édition lance la production de trois films réalisés par les meilleurs, un mot sur le Kurzfilmprogram 3 qui réunissait Chris Chong Chan Fui, Heinz Emigholz et Jean-Claude Rousseau.

Tout les oppose. Le premier est un jeune réalisateur malais dont le long Karaoke est passé avant l’été à la Quinzaine. Le second un artiste allemand né en 1948 et auteur forcené - The Basis of Make-Up, des milliers de dessins, et Architecture as autobiography, des milliers de plans de films (et des milliers de films ?) détaillant chronologiquement des oeuvres architecturales - de Loos, Schindler, à plus obscur. Quant au troisième, on peut s’épargner les présentations.

Le Chris Chong Chan Fui (CCCF pour faire court, merci) est un plan fixe et frontal, à deux moments de la journée, sur une tour d’habitations, le « Block B » qui donne au film son titre. On dirait une photo d’Andreas Gursky, ou de photo contemporaine chinoise : c’est un bloc de cases ou une grille d’au moins 16x9, émergeant lentement de la nuit et y retournant un quart d’heure plus tard. C’est trop de cases, une grille trop grande, qui n’autorise que des micro-fictions. Un dialogue en voix off, très proche, conduit donc progressivement le regard lointain vers un point du cadre. Une conversation entre deux femmes étendant leur linge permet d’identifier le bleu d’une chemise visible dans le coin supérieur gauche du plan. Il faut que le vêtement chute de quelques étages pour définitivement associer ces voix aux silhouettes qui traversent les couloirs extérieurs du bâtiment. Et ainsi de suite : des enfants sur les coursives inférieures, un couple dans l’escalier central. Pas mal. Malin. Pas plus. Karaoke du même CCCF laissait déjà l’impression d’un cinéma intégrant consciemment un régime d’images généralement tenues comme ennemies pour le transformer. Formalisme germano-chinois, saynètes télé ou industrie parallèle de la vidéo karaoke (toujours intéressant). Ces tentatives sont pour le moment plus valeureuses qu’efficaces. Mais tentons d’en voir d’autres. Bientôt, nous dit-on, à l’occasion d’une exposition à Tokyo ou CCCF présentait films et installations près de Pipilotti Rist, Michael Snow, Christian Marclay ou Joe W.

Le film de Heinz Emigholz est double lui aussi. Deux. Zwein. Zwein projekte von Friedrich Kiesler. Même risque de l’anecdotique élevé au carré par accumulation et fragmentation. Connaissant vaguement Emigholz, on ne s’étonne pas outre mesure que ce film court soit identifié comme le quatorzième d’une série dont on n’avait pas entendu parler, intitulée Photography and Beyond. Il s agit à nouveau de documents architecturaux. Or documenter un bâtiment est infini, des milliers d’images n’épuiseraient pas la manière dont un objet architectural se pose a un endroit, et dont cet endroit le transforme dans le temps (le paysage fonction du temps, pédagogie benning). Il faudrait d’abord l’idée (et ensuite la matière, pédagogie straub), mais Emigholz n’en a qu’un bon millier. Ce court présentait deux objets. La maquette d’une "Endless House" autour de quoi la caméra a tourné sans fin. Bande-son atroce, idée tautologique. L’autre s’appelle « Shrine of the Book ». Bâtie de 1959 à 1965 à Jerusalem. Emigholz emploi sa méthode habituelle, de nombreux plans de durée courte et égale souvent légèrement inclinés en diagonales pour rompre avec la morosité de la méthode. Méthode par ailleurs bien plus classique qu’on peut l’imaginer : la progression hachée maintient une approche classique de l’extérieur au coeur du bâtiment, aller-retour. Reste l’idée d’accumulation. Quoiqu’on en pense (du mal donc), il y a quelque chose de monstrueux dans l’idée. C’est se livrer complètement à l’activite de la main ou de l’enregistrement. Idée mécanique, germanique, kraftwertienne, en dessin comme en film. Les premiers sont plus intéressants que les seconds. La différence, c’est que c’est acceptable en matière de dessins, mais plutôt pénible en matière de films. Où ça ne fait que redoubler de manière opportuniste et paresseuse la nature du film. C’est une série d’images sans image. Rousseau fait l’inverse. Même en série, il recherche l’image. Du singulier dans le pluriel. Des ruptures dans la série. Du différent dans le même, et non du même dans le différent.

2h (le lendemain). Retour chaotique de Vienne. Pas un sou, CB sans effet, vol bondé, tendu, valise volatilisée. Bref. On termine par Visitors. Production Jeonju : trois réalisateurs vedettes en un long-métrage. Un thème simple : cette année l’arrivée d’un visiteur qui dérègle la vie d’une communauté. Chez HSS, une fille de retour dans sa province ; chez Kawase, le retour d’un fils dans l’histoire et la campagne de ses parents décédés ; chez Lav Diaz, le retour dans son pauvre village d’origine d’une Philippine exilée aux Etats-Unis. Souvent les films sont bons. Généralement il y en a un qui traîne. Ici c’est Kawase, on s’en doutait. Hong Sang-soo la précède, Lav Diaz lui succède. Ce qui fait de la concurrence. Avec Kawase, surtout dans ce qui a suivi Shara, on ne sait pas si c’est le ton, la préciosité, l’excès d’art, ou autre chose, qui refroidit.

Hong Sang-soo imagine un petit récit dont il profite surtout pour aiguiser ses armes. De plus en plus de zooms et de recadrages : chez HSS (pour faire court, merci) la forme a assez décanté pour y réintroduire des mouvements qui semblent neufs. On sait combien l’image est chez lui astreinte au même examen impitoyable que les personnages. La recherche du matériau brut, ces situations quotidiennes attrappées à la volée et décapée de l’enjolivement des stéréotypes narratifs, étaient les premiers soucis de HSS. Pareil pour les personnages : traquer chez eux les mensonges et petits arrangements de conscience pour progresser vers une honnêteté austère. Si zoom il peut désormais y avoir, c’est parce qu’il échappe aux réflexes narratifs. Rapides, affûtés, si radicalement mécaniques qu’ils redeviennent un moyen d’écriture, ces zooms sont à chaque fois surprenants. Ils entrent dans une relation dialectique avec les personnages pour les faire avancer, et le spectateur, vers la résolution d’incessantes petites questions morales. En passant au digital, HSS peut tailler de plus en plus vite dans les blocs de morale pour en tirer des éclats de matière brute. Et revisiter comme ici des structures classiques de boulevard : deux hommes, deux femmes – un prof, un étudiant, deux filles qui naviguent entre eux. C’est loin de laisser un souvenir impérissable, mais voir HSS continuer d’affûter ses outils est en soi une fiction suffisamment passionnante et durable.

Reste Lav Diaz, auteur du troisième segment de Visitors. Lav Diaz, père de toute la nouvelle génération philippine, que des films aux durées extravagantes (9h, 13h) ont quelque peu effacé derrière sa progéniture. On le rencontrera dans deux semaines à Thessalonique, qui programme, comme beaucoup d’autres festivals internationaux depuis deux ou trois ans, un programme philippin. On reconnaît la grisaille d’image, le format carré, les plans fixes et les discussions d’apparence sereine et néanmoins étonnament tendue. C’est drôle, car sans cela l’histoire de ce court-métrage pourrait au départ être celle d’un film de Brillante Mendoza. Cette philippine radicalement américanisée, retrouvant ses origines sans se douter que ce retour sera perçu comme une gêne ou pire, un affront, et qui par sa familiarité même avec les oncles et pères qu’elle visite éveille chez eux des désirs de vengeance, d’argent, de kidnapping. C’est dans la jungle, sous des masques de colons espagnols, que le rapt échoue dans la tristesse infinie d’une image où les victimes se voient devenir bourreaux. Il suffit de quelques plans fixes et de trois masques pour y parvenir, et c’est bien plus frappant que la manière snuff tiers-world de Mendoza.

par Antoine Thirion
mardi 3 novembre 2009

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