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66 mostra internazionale d’arte cinematografica

The Informant !  de Steven Soderbergh

F comme Firme

8.0

Toujours prolifique, Steven Soderbergh présente son quatrième film en un peu plus d’un an. Film politique encore, sur un tout autre registre que le dyptique hyperdocumenté Che. La préparation de ceux-ci consistait en une longue investigation, Soderbergh allant notamment à la rencontre des protagonistes des événements. Ici, le cinéaste travaille à plus gros traits et fabule volontiers sur des faits pourtant non moins réels : Mark Whitacre, cadre haut placé d’AMD, une compagnie de chimie céréalière, espionne pour le compte du FBI les activités illégales de sa firme : des arrangements frauduleux avec ses concurrents pour faire grimper les prix. Sujet austère, si le héros n’était un menteur échevelé doublé d’un idiot de bonne foi.

L’argument ouvre à Soderbergh les portes de la comédie, et à Matt Damon moustachu en Whitacre, les portes d’un registre inattendu. Il a dans ses moments les plus benêts quelque chose d’un autre cadre « idiot du village » : le Bernard Menez Du coté d’Orouet. Mais à l’américaine, a hundred times bigger, le garage rempli de voitures de luxe. Comédie de la duperie, The Informant ! voisine avec Catch Me If You Can, sans le decorum nostalgique.

Nous sommes dans les années 1990 ; une image de Tom Cruise entre dans le cadre, Whitacre regarde La Firme de Sydney Pollack. FIlm et star contemporains de l’intrigue située en 1993. Image qui renvoie aussi aux années 1970, La Firme étant l’un des derniers avatars des fictions-enquêtes hollywoodiennes de la décennie de Coppola et Lumet. Après Accident, The Informant ! est le deuxième film dans la sélection vénitienne à affirmer une dette envers le Nouvel Hollywood. À eux deux, ils déploient l’artillerie du film d’espionnage de l’ère pré-Internet, caméras, micros, écoutes téléphoniques. Et une vérité à reconstituer, un fait à prouver, une image à reconstruire. Soi Cheang garde le ton paranoïaque de ce cinéma en se passant de sa substance politique. Soderbergh fait l’inverse. Un petit projet ambitieux, une comédie rapide, mais lestée d’une intention impitoyable.

[Le temps de la production donne une indication des deux vitesses du film : un scénario qui a sept ans - il remonte aux débuts de la société Section Eight de Soderbergh et Clooney - ; un tournage d’une trentaine de jours.]

The Informant ! a certes peu à voir avec Che. Il se trouve plutôt à la croisée d’Erin Brockovich et des variations sur les genres, Ocean’s, The Good German. Le mélange profite aux deux tendances. Rien ici du pathos de Brockovich - mais sa forme-enquête. La légéreté Ocean maintient l’équilibre - sans son romantisme, celui aussi du Di Caprio de Catch Me. Spielberg imaginait un menteur-jouisseur. Le cas Whitacre, entre mythomanie et mensonge de pouvoir, est plus complexe. C’est un manipulateur. Et un innocent. Ses pensées en voix off témoignent de sa bonne foi en même temps que l’intrigue révèle son talent de comploteur. Whitacre vend la mèche des fraudes de sa compagnie. Mais il en profite pour se livrer tranquillement à des détournements de fonds et caresse l’espoir de passer PDG de l’AMD une fois toutes les têtes coupées. Son interlocuteur est un officier du FBI trop heureux de l’ampleur de l’affaire pour voir que la taupe est louche. Un seul s’interroge : qui est ce mec ? A-t-on déjà vu un type qui gagne des millions et dénonce sa compagnie ? On balaie ses questions en une seconde.

En amont, le film avance un propos sur la double vitesse de la justice. Une fois confondu, notre héros, le pion haut placé de l’entreprise, écope de 8 ans de prison. Les chefs qui volent à échelle internationale, seulement 3. Mais il y a plus frontalement une mise à plat. L’un comme l’autre, la firme et son cadre qui la joue perso, conquièrent le pouvoir par le mensonge. Soit. Mais ils mentent surtout les mains propres, sans y toucher. A une réunion des businessmen que Damon épie pour les flics, il parvient à extirper de leur langage policé le gros mot "agreement" : l’arrangement, le crime qui ne se dit pas. On se croirait dans un langage d’Endlosung.

Le crime ne s’affiche pas ; il n’existe pas. Le film montre un profit qui s’exerce d’autant mieux qu’il se donne une parfaite image de transparence de la justice ; que son organisation est lisible comme un incontournable travail de bien - Damon en fait son leitmotiv, « I’m a good guy ». Une telle forme de pouvoir, à l’échelle d’une société, a son nom : la démocratie libérale. Et son dupe, le citoyen. Même en mettant de coté le piètre Capitalism de Michael Moore et en émettant des réserves sur l’excès de moorisme et d’obamisme du documentaire pro-bolivarien d’Oliver Stone, le néolibéralisme n’a pas fini d’être secoué, jusque dans ses fondations constitutionnelles, par cette sélection vénitienne. Scheherazade et The Informant ! sont pour l’instant les fictions qui frappent le plus fort et le plus juste.

par Eugenio Renzi
samedi 5 septembre 2009