66 mostra internazionale d’arte cinematografica

Carnet des notes

12

PALMARÈS
de Ang Lee, Sergey Bodrov, Sandrine Bonnaire, Liliana Cavani, Anurag Kashyap, Luciano Ligabue. 3.4
Lion mort.
[du carnet de Francesco Boille] Dégueulasse.

11

ENGKWENTRO
Pepe Diokno.Orizzonti. 1,9
Le colonialisme de Slumdog Millionaire a décidément fait mal : on retrouve désormais sa trace jusque dans les cinématographies nationales. Ici un long-métrage philippin d’une heure tout en courses poursuites dans les bidonvilles. La caméra suit au pas de charge ; s’imposant tremblements et plans séquences comme caution réaliste. Il ne s’agit que de ça, fouiller ces ruelles labyrinthiques comme une sonde dans un intestin grêle, balayer pour tout voir. On voit ce qu’un tel dispositif, dans un film qui se veut un contrechamp image au champ sonore des discours officiels (ils ne tiennent pas la confrontation, sans blague), a de finalement policier, carcéral : camera panoptique qui met toutes les intimités du drame dans le domaine public, pseudo sociologique. Pas si loin des méthodes de Mendoza, en forçant nettement la dose mélodramatique.

THE HOLE
Joe Dante. Compétition officielle. 3,5
Perversion horrifique du film familial. S’y rejoue en moins bien ce qu’on a souvent vu chez Joe Dante. Le schéma est exactement celui du film pour enfants. En fin de film, il rencontre le post-expressionnisme tendance Beetlejuice de Burton, boosté à la 3D. Ca ne change strictement rien. Son Trou à horreur était potentiellement infini. Le film ne fait que le résorber dans sa puissance d’épouvante, dans sa portée sexuelle – les lunettes Persol 3D coûtent cher, d’où l’impératif d’un film 100% tout public – pour combler de gadgets eighties sympas (dont une imitation ratée de Christopher « Doc » Lloyd). A la fin, c’est juste une malle de peurs enfantines et de désirs dantesques (dans le sens de Joe, qui ne se prive pas du plaisir geek de mettre un Dante’s Inferno dans les mains d’une ados).

LOLA
Brillante Mendoza. Compétition officielle, "film surprise". 4.9
Un peu de pudeur nouvelle chez Mendoza, pour un film de vieillesse, de deuil. Dans sa caméra aucune, toujours une mobilité fouineuse. L’emprise des éléments, la pluie principalement, fait par moments un beau voile de deuil, mais le plus souvent on patauge dans une gadoue de sociologie et d’intime mêlés.

10

REPO CHICK
Alex Cox. 90mn. Orizzonti. 5.9
Une Paris Hilton qui vit son pire cauchemar : déshéritée. Elle devient la Repo Chick du titre. Se cogne contre des terroristes végétaliens dans un train dimensions Majorette en animation. Farce plaisante, blagues inégales mais souvent acides. Dialogues plus convaincants que les bricolages gadget. Et Paris Hilton sauva l’Amérique.

SOUL KITCHEN
Fatih Akin. Allemagne. Compétition officielle. 6.0
Lorsque vous souffrez du dos, difficile de ne pas aimer l’idée d’un héros qui se traîne le même pendant tout un film, les séquences avec une osthéopathe dont il tombe amoureux, et qui lui apprend des mouvements qui, en plus de vous être vraiment très utiles, servent au film de gimmick efficace. Modeste mais très drôle, et applaudi.

09

SURVIVAL OF THE DEAD
George A Romero. Compétition officielle. 8.7
Grand film Z. Adieu De Palma (Diary of the dead), retour à Tourneur, si ce n’est à Lang, aux années 50 (le série B qui ne sait pas encore qu’elle est A). Dans l’image et dans le propos, Survival of the Dead pourrait s’intituler Les Zombies de Moonfleet. Deux morales amorales se partagent une île : extermination et exclavage. L’ambiance sud profond inspire à Romero un nouveau personnage, le zombie colonial, l’esclave domestique. Et tout un imaginaire magique, hanté, féerique. Génial le personnage double : la zombie amazone et sa sœur jumelle encore vivante. Les deux échappant à la lutte à mort (de pur prestige) entre les deux maîtres à morale de l’ile. Fort aussi l’apprenti du film, qui prend le parti du plus contrebandier des deux maîtres de l’île, mais à la fin se casse en bateau. Défaite et départ de l’île de la dernière utopie. Mais l’exercice à été profitable. Très.

08

LEBANON
Samuel Maoz. Compétition officielle. 4.5
Deux heures dans un tank. L’invasion israélienne du Liban vue dans un viseur. Esthétiquement (très) sale : bruit, poussière, sueur, huile. Politiquement neutre. Moins une critique de cette guerre qu’une vision hyperréaliste applicable à n’importe quelle guerre moderne. Officiers machiavéliques, guerre oblige, mais capables d’un geste d’humanité simple : un voile posé sur la nudité d’une femme. Critique de la guerre, mais au mythe de Tsahal et de "l’armée la plus morale du monde", on ne renonce pas. Anti-Redacted. Fait davantage penser à Hurt Locker de Kathryn Bigelow, mais en beaucoup moins bien : trop amoureux de son dispositif, qui ne dit rien d’autre que celui-ci. La Mostra a adoré, risque de Lion d’or.

NAPOLI NAPOLI NAPOLI
Abel Ferrara. Sélection officielle, hors compétition. 8.5
Deux films à Naples aujourd’hui. Et deux grands. Après Comencini, Napoli Napoli Napoli d’Abel Ferrara. Bien sûr, les deux n’ont rien à voir. Autrement dit, ils font à deux un parfait champ-contrechamp, le couple idéal du jour. On sait la capacité de Venise à installer dans sa sélection un film-pilier, qui fait avancer par bonds le cinéma d’aujourd’hui. Redacted, Z32. Et aujourd’hui Napoli. Peut-être pas tout à fait aussi majeur, encore que, le temps le dira. Il s’agit de trois microfictions logées dans un ensemble documentaire : des entretiens avec des femmes détenues dans la prison de Puozzoli. Chacune a une histoire proche, trafic de drogues ou addiction, ou les deux, familles au chômage, toutes issues des HLM napolitains - projet urbain désastreux. Et donc trois récits minimaux de mafia pour enrichir les entretiens d’un contexte. Le tout capté par une même caméra DV prenant au vol (depuis une voiture, un scooter) tout ce dont Comencini se passe (avec finesse) dans son film : la crasse, les appartements délabrés, la coke qui remonte sans fin dans les narines, le sous-prolétariat napolitain. Véritables prisonnières et acteurs amateurs : ils se ressemblent - tous à égalité. Les fictions ne se proposent pas de renforcer le sentiment de réalité par immersion. Au contraire, elles sont plates comme l’image frontale des interviews. Brouillées de pixels, elliptiques, pauvres, chaotiques. Des intensités, des présences. À peine des fictions, des lambeaux d’images arrachés à la misère quotidienne.
Se servir dans un réservoir désormais infini d’images, et recomposer : ce sont aussi les images d’archives de l’occupation américaine, débuts des grandes constructions, du renouvellement de la mafia. Documents passés au filtre du numérique, recouverts des pixels de compression youtube. Ce patchwork décuple la vérité du film. Les storylines, s’achevant dans le meurtre, le viol, sont la réalisation dans l’image de ce que disent toutes les entretiens : ici, maintenant, sous notre nez, l’étranglement, l’asphyxie d’une ville et la noyade de sa population.

LO SPAZIO BIANCO
Francesca Comencini. Compétition officielle. 9.0
Perfection des agencements dans le nouveau film de Francesca Comencini. Lent trajet musical d’une femme, Maria (Margherita Buy), quadragénaire, professeur de cours du soir d’Italien pour des travailleurs, célibataire mélancolique, puis amante un temps, enceinte ensuite et accouchant trois mois avant terme. Il y a d’abord ça, un film se déployant sur plusieurs temps, poreux, sur morceaux électro-pop. Celles-ci, très présentes, embrassent les teintes bleutées d’un film ni diurne ni nocturne. Tout le film est une attente, d’un homme, d’un enfant, de sa survie, de sa sortie de l’incubateur. Moment incroyable où seule avec son bébé entubé Maria ne réagit pas quand la machine signale un danger cardiaque. Elle reste assise là, se bouche les oreilles – les sons passent en sourdine – de longues secondes avant de choisir de s’affoler, d’appeler un médecin. Quand les choses arrivent finalement, c’est simplement, un baiser pressenti arrive sans effet d’annonce ni surprise, naturellement. Ces concrétisations sont elles-mêmes l’illustration d’un entre-deux qui est à la fois le vrai objet et le but du film, son sujet et sa forme. Temps d’un accouchement prématuré. Ni naissance, ni mort. Long espace blanc qui se remplit de l’attente d’une deuxième naissance.
Film donc a priori totalement casse-gueule. Comencini avait choisi Milan pour A Casa nostra, son film sur l’économie berlusconienne, la ville de la mode, de la télé, de la coke, du fric et du spritz. Peu de cinéastes peuvent se permettre une telle frontalité. Elle y trouve toujours la bonne distance, comment remplir le film sans l’encombrer. Comencini, qui avait commencé comme assistant réalisateur de son Père sur Un ragazzo di Calabria, histoire d’un pauvre petit coureur, est elle-même devenue ce coureur. Une cinéaste d’un entêtement absolu, admirable, enfantin. Elle tient tout le temps le cap. Elle réussit un film de très haut niveau (danger) intime et émotionnel... dans la ville de Naples ! Comme pour Milan et l’économie, choisir Naples redouble les risques. Ville des enfants, des mères, des espoirs, des attentes... Comencini file dans les rues en évitant tout danger, suivant rigoureusement le pas de son héroïne, logeant dans le cadre seulement ce qui est censé attirer son attention. Qui fait et prend sens par rapport à sa situation à elle.

07

PERSÉCUTION
Patrice Chéreau. Sélection officielle. 5,7
Antony & the Johnsons au générique de fin.

THE INFORMANT !
Steven Soderbergh. Sélection officielle, hors compétition. 8.0
Après le monumental CheThe Girlfriend Experience confirmait la belle forme de Soderbergh dans des projets plus modestes. Il réitère avec The Informant !. Comédie légère sur la mythomanie et enquête-fiction sur le mensonge politique, le film a une double fonction, à l’image d’un personnage dupe de son propre machiavélisme. Film rapide et tranchant, qui tient le néolibéralisme bien plus juste dans son viseur qu’un documentaire de Michael Moore. Firme.

VIAJO PORQUE PRECISO, VOLTO PORQUE TE AMO
Marcelo Gomes et Karim Ainouz. Orizzonti.
[du carnet de Francesco Boille] Péripéties d’un géologue trentenaire dans une région semi-désertique du Brésil, isolée, parfois lunaire. Gomes et Ainouz se réapproprient des lieux d’origine familiale. Voyage doublé d’une fuite pour se consoler d’un amour perdu. Un homme qu’on ne verra jamais, toujours hors-champ. On écoutera son histoire et ses rencontres. Se dessine peu à peu, dans le chaos, un futur en construction. Les lieux : le mythique Sertao, terre des Cancaceiros, du cinéma novo. Inlassablement filmé avec un grain d’image qui appartient au passé. Proche de certains longs de Gus Van Sant (on songe parfois au début de Gerry). Plan magnifique proche de la fin, où dans une lumière nocturne apparaissent de longs chariots en bois rectangulaires, traînés par des silhouettes. Abus de métaphores téléphonées et d’une certaine tendance démonstrative à l’égard du visuel. Restent la force et l’originalité de ces (futurs) souvenirs perturbés. 

SHEHERAZADE, TELL ME A STORY
Yousry Nasrallah. Hors compétition. 7,9
Cf. Vidéopouvoir.

06

SOUTH OF THE BORDER
Oliver Stone. Sélection officielle, Hors compétition. 4,4
Oliver Stone reprend par un documentaire là où la fiction W. s’était plus ou moins arrêtée : le désastre irakien mené par le président Bush Jr. South of the Border nous en touche donc deux mots avant d’emprunter un chemin moins connu, les rapports entre la Maison Blanche et les républiques bolivariennes. Pour un progressiste américain, la production d’un tel film semble répondre à une urgence, offrir à ses concitoyens une vision alternative des jeunes républiques de gauche d’Amérique du Sud si vite diabolisées. Urgence qui équivaut hélas à un laisser-aller général, et engendre un montage aussi torché que ceux de Michael Moore. La démagogie ne manque pas. L’optimisme béat de Stone devant l’élection d’Obama, où s’achève le film, laisse perplexe. Stone prend du recul sur tout, sauf son sujet, et s’en tient à des visites de courtoisie aux cabinets présidentiels afin peut-être d’endosser le poste de diplomate laissé vacant par l’administration Bush.

WHITE MATERIAL
Claire Denis. Compétition officielle. 2,1
Huppert ressemble de plus en plus à Sigourney Weaver. Une typologie d’actrice (Jane Fonda, Demi Moore, Melanie Griffiths a failli y passer : ex-canon devenue mitraillette, mince et raide) que le cinéma français n’a jamais su comment employer. Il a trouvé : Claire Denis. 35 Rhums était colonialiste. White Material est son film miroir. Cosmopolite et faux. 35 transformait seulement pour le goût radical-intello de l’exercice un cheminot en samouraï. WM transforme un petit blanc (un des entrepreneurs qui, après la décolonisation africaine, décident de rester sur place) en un personnage de science fiction. De white badass. Claire Denis pense à Mère Courage, elle réalise Alien 5 à Djibouti.

BETWEEN TWO WORLDS
Vimukthi Jayasundara. Compétition officielle. 8.2
Tour de force. Film personnel et national, comme les aiment Independencia. Virtuosité de l’image, simplicité du propos. Plusieurs images restent. Vimukthi Jayasundara invente un film vase, à l’extérieur pauvre, simple, populaire : les aventures d’un Zadig au Sri Lanka. A l’intérieur transporte, mélangés comme les contes de la culture orale, la conscience d’un peuple. Deux mondes.

LA HORDE
Yannick Dahan. Giornate degli autori. 6,8
Drôle de movie. Vu au Giornate degli autori (copie inaboutie de la Quinzaine cannoise). Un début insupportable, sorte de remake franchouillard de We own the night. Une "famille" de flics enterre un parrain, la veuve demande vendetta. Tout cela joué sur un registre aussi faux qu’une série américaine doublée. Quand l’escadron des flics débarque dans une tour de la cité de Charonne, les quatre vengeurs ont juste le temps de se faire avoir par des guerriers qui fument le chef et un blessent un autre. Le film vire brutalement de cap. Paris sous les bombes libère une horde de zombies qui avancent à toute allure vers la banlieue, plus rapides et voraces que chez Romero. Pas mal. A contrecoeur, flics et guerriers font alliance. Bon, pourquoi pas. Le meilleur du film est ce qui sonnait faux à l’entame : la langue. Par exemple celle d’un vétéran d’Indochine ajoutant sa hache aux flingues de l’équipée de survivants. Sorte de vieux français hyper-populaire complètement déchaîné. Ce que Jean Gabin aurait pu sortir en chantant avec NTM.

05

ONCE UPON A TIME PROLETARIAN : 12 TALES OF A COUNTRY
Xiaolu Guo. Orizzonti. 6,6
Ce documentaire en numérique de la jeune cinéaste Xiaolu Guo est directement branché sur le 24 City de Jia Zhang-ke. Parole au prolétariat et à la jeunesse de la Chine actuelle. Témoigner du bouleversement d’un pays dans la parole de son peuple. Jia se concentrait sur la population d’un complexe industriel du Chengdu détruit pour faire place à des hôtels de luxe. Xiaolu Guo voit plus grand et fait plus petit. Douze rencontres avec des chinois de tous horizons géographiques et sociaux, paysans, ouvriers, nouveaux riches, jeunes branchés, etc. Avec un désir de faire formule de chaque rencontre : les épisodes sont courts, concis. Tous fabriquent une image limpide pour dire un pays compliqué : les jeunes sont imprégnés d’Occident, les vainqueurs de l’ouverture économique chantent leur fierté chinoise, la vieille génération laborieuse est nostalgique de Mao. Derrière l’ironie du titre, on découvre son sérieux : le vieux paysan est le dernier à s’exprimer dans le vocabulaire de la lutte des classes.
Cette collection de "contes" documentaires construit un abécédaire de poche de la Chine contemporaine, avec l’utilité et les limites de l’exercice. Le premier piège est celui de l’illustration. On est loin de l’ampleur du regard de Jia. 12 Tales esquisse néanmoins un tour d’horizon de la violence conjuguée des institutions d’Etat et du libéralisme tardif. Les entretiens les plus intéressants disent l’absurdité de cette imbrication : un petit manager d’usine lit pour la caméra la liste de ses consignes de travail, salade mêlée de vernis collectiviste et de fond tayloriste. Et un propos stupéfiant : déporté en 1968, l’homme se dit que "tout irait mieux si le président Mao était encore là". On pourrait rire jaune devant cette "réééducation" exemplaire de la Révolution Culturelle. On y voit plutôt le témoignage le plus frappant d’un peuple abandonné à son sort par le déchaînement libéral.

MY SON, MY SON, WHAT HAVE YE DONE ?
Werner Herzog, Compétition officielle, « film surprise ».
[du carnet de Francesco Boille] Herzog, très civilisé, évacue quasiment tout le sang d’un film où le sang pourtant devrait être partout. Un coup d’épée et on tue une vielle mère, vieux thème œdipien du réalisateur. Une ancienne façon de mourir, presque romantique, pour un monde aseptisé, de la quasi immobilité circulaire (encore plus peut-être que la relecture du Bad Lieutenant d’Abel Ferrara), un monde congelé du lisse et du relief. Un monde très civilisé. Les éléments de chaque plan sont découpés de façon incroyable, d’un relief si parfait qu’on pense pouvoir presque les toucher. On croit n’avoir jamais vu cela auparavant, pratiquement chaque plan paraît être une installation, parfois micro, parfois macro. Un dialogue intense avec l’art contemporain s’installe. Circularité du monde contemporain qui semble être aussi celle de la crise de la fiction, de plus en plus contaminée par le documentaire. Un monde, une fiction du cinéma qui semble avoir déjà tout dit. Documentaire, parfois impur, que Herzog à longtemps préféré à la pure fiction. La sienne, est ici plus en forme que jamais. Sans compter, ici et là, les figures, les motifs, en provenance directe des univers de Lynch – ici producteur exécutif – et de Herzog qui se croisent, jusqu’à parfois se fondre de façon presque parfaite (le nain).

ACCIDENT
Soi Cheang, Compétition officielle. 8,2
La nouvelle production Milkyway déploie toujours la même énergie pour construire un cinéma d’alliages : rapide et errant, nerveux et élégant. L’équilibre des contraires fait sa beauté. Ici l’alchimie est parfaite ; en même temps le film réserve des surprises. Récit paranoïaque armé des machines d’écoute de Conversation secrète, Accident transforme le thriller politique en jeu d’échecs : Soi Cheang met de côté les gunfights lyriques et l’humour des films réalisés par Johnnie To pour foncer, plus sec et abstrait, dans une autopsie mathématique du groupe.

FRANCESCA
Bobby Panescu. Orizzonti. 4,2
Du cinéma Roumain, on attendait mieux. Mieux que ce drame minimal. Francesca se prépare a quitter le pays, elle s’embrouille avec la mafia et la mairie pour des histoires d’argent. C’est évidemment surtout la mise en scène du post-post-communisme. De moins en moins de récit. Un peu plus de couleur. Le deuxième post n’est pas un saut vers autre chose, plutôt une mise à jour de Bucarest. Un upgrade de la vie, des portables, des voitures. Enfin, un peu de couleur. Upgrade aussi des usuriers. Ils ont des secrétaires et demandent aux nymphettes de leur chanter des chansonnettes en échange d’argent. Passionnant.

04

PRINCE OF TEARS
Yonfan, Compétition officielle. 5
Robuste comme un film labellisé "production officielle de République populaire de Chine". Sauf que ce n’est pas le cas, il s’agit du nouveau film du hongkongais Yonfan – ce genre de méprise risque d’arriver de plus en plus souvent. Enrobage photographique léché pour un récit de l’occupation de Taiwan par l’armée de Chiang Kai-chek. Sous le récit conventionnel de trahison, de mari perdu, une histoire d’amour entre deux femmes court de manière plus furtive. Histoire nationale chinoise saupoudrée de timides passions, une sorte de version soft de Lust, Caution.
[du carnet de Francesco Boille] En français, Prince de larmes. Le titre vaut le film : un mélo sirupeux. Dommage car le sujet est fort (Taïwan au moment du maccarthysme triomphant, de la chasse aux rouges dite "Terreur Blanche"). Photo délavée, assez laide. Lei Wang-zi n’a aucun recul sur les clichés du genre. Proche de Wong Kar-wai et Stanley Kwan, les rares fois qu’il fut inspiré. Le producteur exécutif est Fruit Chan, cinéaste hongkongais qui connaît l’impudence et sait mélanger (parfois bien, parfois mal) le bon et le mauvais goût. Ici, c’est décidément raté. Manque de fraîcheur. De façon bien trop discrète, les symboles de l’innocence d’une petite fille sont détruits avec une cruauté systématique. Bonne piste qui tombe hélas dans la mélasse.

TETSUO THE BULLET MAN
Shinya Tsukamoto. Compétition officielle. 7,1
Reboot de la saga cyberpunk Tetsuo et de ses androïdes aux allures de poubelles. Les textures crasses sont désormais emportées par un environnement lisse, translucide, macbook. Par un scénario au schématisme d’application informatique. La libération de la bête Tetsuo n’en est que plus réjouissante, à affoler la prise de vue, le montage, à rendre l’image illisible. Saturation des moyens du cinéma digital, des caméras hypermobiles et des logiciels de montage ; régression de la clarté haute-technologie vers l’incandescence industrielle.

LOURDES
Jessica Hauser, Compétition officielle. 8.0
Impitoyable. Une cohérence bien allemande de la forme et du contenu. Bruno Todeschini en grande forme tout comme Sylvie Testud, Elina Löwenson, Léa Seydoux. Pas anodin que le directeur de la photographie soit aussi le producteur : le discours théologique passe dans un film simple, aussi lisible que ses blagues.

03

LIFE DURING WARTIME
Todd Solondz, Compétition officielle. 3,4
Ou les infortunes du rire pour la première comédie de la compétition. Un film grinçant de plus sur les WASP des suburbs. Trop tard pour qu’on puisse s’en contenter. Les années 1990 ont largement damé le pion, avant que les séries TV des plus aux moins inventives n’investissent le sujet - on en a fait le tour. Fidèle a son univers, Solondz radicalise certes un des standards du genre : la déviance sexuelle. Un pré-ado apprend que son père qu’il croyait mort vient en fait de sortir de détention. Mensonge de la mère qui préférait ne pas révéler que l’ex-mari était en prison pour pédophilie. En l’apprenant, l’enfant s’offusque : "dad’s a fagget, he’s a pedophile". L’amalgame est fait, il ne sera plus contredit. Un peu plus loin, une autre réplique du genre : « I don’t want anything to come inside my body, ever ! » Le film baigne évidemment dans l’ironie et les dialogues fonctionnent sur plusieurs niveaux de lecture. Mais la spontanéité du rire homophobe reste désagréable. Autant le rire est une arme de subversion possible, autant il permet également de perpétuer tous les schémas d’oppression, xénophobie, sexisme, homophobie. On penche, devant Solondz, vers la deuxième impression.

THE ROAD
John Hillcoat, Compétition officielle. 6,2
Hillcoat s’aligne sur l’écriture sèche de Cormac McCarthy. Adaptation sobre. Dans le monde-poubelle d’après l’Apocalypse, les héros SDF rencontrent les terreurs de l’errance en milieu hostile, la famine, la déchéance. Cette omniprésence de la mort en soi et autour de soi est ce que le film réussit le mieux, s’épuisant par ailleurs dans la recherche d’une spiritualité nouvelle pour nos temps de ruines. Survivre ?

02

BARÌAA
Giuseppe Tornatore, Compétition officielle. 150mn. 2
Film d’ouverture. Une des tous les quotidiens nationaux. Le dernier Tornatore est un énième retour au cinéma italien d’argument historique. De ce genre, il gagne le Lion du plus raté. Un lieu sicilien (Visconti du Guépard), l’histoire nationale revue à travers le roman d’apprentissage d’un pauvre paysan (Bertolucci de 1900), une grue qui monte toutes les deux minutes pour surplomber la ville (Leone d’Il était une fois dans le Ouest) et 90% des scènes hantées par une symphonie signée Morricone (encore Leone donc), un temps saucissoné multipliant les retours arrière à l’appel de plusieurs madeleines (encore et encore Leone). Tornatore ne se prive pas de citations directes – il met en scène le tournage du Mafioso de Lattuada – ni d’auto-citations : l’enfant au cinéma (Cinéma Paradiso, le film qui lui avait valu un Oscar en 1988).
À l’insupportable stabylotage, il faut ajouter un grave manque d’ampleur. Ceux qui ont lu le scénario disent qu’il aurait pu fournir la matière d’un bref conte naturaliste, largement autobiographique. En le mettant en scène, Tornatore a ajouté des bribes de l’histoire nationale : des flashes absolument anodins, inutiles pour ceux qui connaissent le vingtième siècle, et peu parlants pour ceux qui, nombreux en Italie, l’ignorent. Bribes fastidieuses car détachées de sens. Si on admet que, comme tout autre italien de l’époque (de 1920 à nos jours), le héros était vivant pendant la guerre, le référendum République / Monarchie, la réforme agraire, le gouvernement Tambroni... toutes ces références n’apportent rien au développement dramatique. Facile de voir ce que le film finit par affirmer en termes de représentations politique et anthropologique. Rêverie d’enfant sur l’histoire politique italienne du XXe siècle avec visite guidée du parc folklorique du PCI.
Il n’y a pas d’autre cinéaste en Italie chez qui le manque de talent s’accompagne d’une telle réserve d’argent, 32 000 000 $, un casting qui emploie la moitié des acteurs italiens et s’accorde le luxe de faire apparaître Michele Placido et Monica Bellucci. Berlusconi, producteur du film via la société Medusa, a déclaré depuis Danzig où il se trouve en visite officielle que Barìaa est d’un chef d’œuvre que tous les Italiens "devraient" voir. Conditionnel qui a plus qu’une chance (six pour la précision, autant que de chaînes nationales contrôlées par Papi) de devenir présent de l’indicatif. On vient juste d’entendre la réponse de Tornatore, qui remercie Papi tout en revendiquant un film de gauche, "plus complexe que la simple conversion d’un communiste déçu par l’URSS".
Ok, le film se veut de gauche. Mais celui que nous avons vu ce matin est réactionnaire. Son désir de rendre quelque chose du trajet d’une conscience communiste est contrecarrée par une caméra tenue à la hauteur d’un humanisme bourgeois. Une séquence fait par exemple l’ellipse d’une manifestation sanglante pour ne montrer que le retour de deux voisins, l’un militant, l’autre policier, devant leurs épouses angoissées. Ce sentimentalisme laisse hors-champ l’ascendant des moyens de la violence d’Etat. Tornatore résout en un seul plan ce qui appartient irréductiblement au champ-contrechamp.
Barìaa revient finalement à l’enfance (père et fils, passé et présent se passent le relais). Le roman d’apprentissage, la prose du monde, servent à revenir à l’image poétique d’un enfant qui court et d’une mouche s’échappant d’une toupie cassée. La fresque se replie en anecdotes autobiographiques de Tornatore. Rien ne sert ensuite de brandir à tout bout de champ le drapeau rouge.

[REC] 2
Jaume Balaguero et Paco Plaza, Compétition officielle. 5.1
[REC] n’était pas qu’un film réussi. D’un dispositif deux fois jumeau de celui de Cloverfield (journal HDV, aventure qui surgit au milieu d’une soirée tranquille), les espagnols Paco Plaza et Jaume Balaguero avait tiré un petit chef d’œuvre, admirable justement là où il se démarquait de son frère hollywoodien : dans l’écroulement de la démocratie sympa et sa télé people, et son remplacement par un brutal état d’exception. [REC] 2 continue le premier à la lettre. Les metteurs en scène envoient de nouvelles caméras dans l’immeuble hanté, le reportage en direct reprend. L’idée est, d’une part, de radicaliser le réalisme et la littéralité (les caméras tombent, les batteries se vident), d’autre part de foncer dans le jeu vidéo. Doom et hyper-fiction. La laïcité de la tradition Zombie est abandonnée au profit d’une théologie de l’exorcisme. Derrière la rage il n’y a aucun virus, mais le diable.
[REC] avait en revanche un fond politique dur : l’immeuble condamné était une métaphore claustrophobique de l’Etat Espagnol, la résurgence du Franquisme au milieu d’une démocratie libérale et médiatique. [REC] 2 est plus simple : les hommes (flics, prêtres, bomberos) d’un coté, le diable de l’autre.
D’autres horreurs sont à venir, et de belles : Joe Dante, George Romero. Ce dernier en particulier, devrait permettre un parallèle comparable, Survivor of the Dead étant la suite directe de Diary of the Dead, autre film de zombie DV.

par Eugenio Renzi, Olivier Waqué, Francesco Boille
samedi 12 septembre 2009

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