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FID Marseille 2011 - 6 / 11 juillet

Incrédules

Incident by a Bank
Ruben Östlund

Honk !
Arnaud Gaillard et Florient Vassault

L’Hypothèse du Mokélé M’Bembé
Marie Voignier

Qu’ont en commun les spectateurs d’une attaque de banque, les chrétiens qui écoutent le prêche du pasteur et l’aventurier parti à la recherche d’une créature sous-marine inconnue ? Peu de choses sans doute, si ce n’est un dilemme : faut-il croire les apparences quand ce que nous avons sous les yeux ressemble à une comédie ? Double séance aux Variétés : Incident by a Bank, 11 minutes, suivi de Honk !, 62 minutes. Le premier est aussi efficace et économe que le second est prodigue et lâche. Ruben Östlund s’appuie sur un fait réel, qu’il reconstruit précisément comme sur une maquette. La méthode est la même que dans Play : dans un plan d’ensemble venu tout droit de Conversation Secrète, la caméra isole à coup de zooms plusieurs groupes dont les actions vont s’entremêler. Devant la façade de la banque, le cinéaste place plusieurs spectateurs dont les différentes réactions fabriquent l’évènement en même temps qu’elles le suivent. Commentant et filmant le spectacle en direct, ils reconstituent déjà la scène. La neutralité truquée de l’appareil, qui adopte le point de vue d’une caméra de surveillance, offre une position de surplomb plus confortable au spectateur du film. L’amateurisme des deux voleurs est d’autant plus sensible que leur action est dédramatisée. Seul le son nous restitue la vision partielle des passants. Aux dialogues semblent alors obéir les allers-retours de l’objectif, entre le drame, de trop près, et la comédie de loin. Le mouvement authentifie l’action : il faut rire, et reculer, pour en croire ses yeux.

Arnaud Gaillard et Florient Vassault, partis dans l’Utah et au Texas filmer ceux qui sont directement confrontés à la peine de mort, ont aussi pour eux la vérité des faits : le nombre d’exécutions au Texas, de condamnations prononcées sans preuves suffisantes, les chiffres indiquant nettement l’absence d’effet dissuasif de la peine encourue mais le coût réel, exorbitant, des exécutions. Ils préfèrent cependant faire appel à une vérité morale – ce n’est pas pour des raisons d’économie que l’on milite pour les droits de l’homme. Cette vérité n’a même pas à être dite ; c’est elle, directement, que doivent venir confirmer familles de victimes et de condamnés, rescapés du couloir de la mort et militants aux discours inaudibles. Ici, la comédie est indécente : il suffit de regarder et d’écouter la conférence de presse qui suit, en pleine nuit, l’exécution du condamné, la rhétorique rôdée d’un juge sûr de lui, ou le prêche comparant la peine de mort à la deuxième guerre mondiale, justifiant la mort des innocents au nom d’une plus grande cause. Ceux que filment Arnaud Gaillard et Florient Vassault sont aussi ridicules que les deux braqueurs immortalisés par les passants sur leur portable, mais beaucoup moins amusants. Les deux réalisateurs ont compris que le discours était un spectacle, et s’attardent mais n’en pensent pas moins. Honk ! fait ici le même procès que n’importe quel documentaire à charge visible sur Canal +. Il s’agit de jouer l’oreille innocente pour enregistrer les discours les plus énormes, et les comparer aux arguments imparables des victimes. En opposant ainsi comédie et vérité, le film se prive de tout ce qui ne peut rentrer dans l’argumentaire déjà prêt. Lorsque la famille d’une victime affirme ne pas savoir si cette autre mort leur sera utile, avoir voulu la peine mais n’avoir aucune envie d’assister à son exécution, les deux cinéastes ne savent que faire de ce désarroi. L’ironie est là pour convaincre, pas pour dialoguer.

Le comique sera toujours involontaire : explorant les fleuves et les marais à la frontière du Cameroun et du Congo, le baroudeur de L’Hypothèse du Mokélé M’Bembé doit en tout cas se contenter de cette supposition. Personnage extraordinaire, Michel Ballot s’astreint à tout prendre au sérieux. Ce qui est drôle, improbable dans les témoignages des habitants de la région, ne peut qu’être mis sur le compte de leur innocence : celui qui a trop besoin de certitudes ne rit pas. Nette et paisible, l’image du film de Marie Voignier feint elle-même d’adopter la souveraineté de son héros. La formule est simple mais heureuse : à chaque confrontation, la caméra s’attarde sur les regards qui s’échangent d’un côté et de l’autre. Moins étonnés que les spectateurs, les pygmées renvoient à l’explorateur une image de caricature, et c’est évidemment celui qui veut y croire qui est d’un autre temps. En cela, l’aventurier ne se trompe pourtant pas : la part de comédie et celle de vérité sont bel et bien indiscernables.

par Arthur Mas, Martial Pisani
jeudi 7 juillet 2011