FID Marseille 2010 - 8 / 13 juillet

Mirages, extases

Chronique #3

N’avons-nous jamais toujours été bienveillants (CF)
de Pierre Creton et Vincent Barré
7.8

Mirage
de Jean-Claude Rousseau (EP)
8.8

Pandore
de Virgil Vernier (CF)
7.7

Il est 12h56 et les vents se lèvent à nouveau, timidement, dans la rue du Théâtre Français. Aérons un peu cette chronique qui n’a, pour l’instant, évoqué que deux films – The Dubai in Me et Day of the Sparrow. Pourquoi ceux-là ? Il aurait pu s’agir d’autres. The Dubai in Me rappelle, bien sûr, Redacted de Brian de Palma, jusqu’à sa dimension férocement moraliste – une conversation passionnante avec Christian von Borries l’a confirmé : le film tombe à pic dans le débat contemporain de la propriété des images et de l’impureté du cinéma relancé par Godard. Quant à la patiente et scrupuleuse recherche d’une méthode dans Day of the Sparrow, on pourrait en dire autant de N’avons-nous jamais toujours été bienveillants de Vincent Barré et Pierre Creton. Il rassemble sous le sobre sous-titre « Recueil » quatre métrages plus ou moins courts, aux sujets divers. Tous lient l’art et le paysage, la pratique et l’héritage, via l’entremise de Georges-Arthur Goldschmitt, écrivain et traducteur caché à Megève pendant la guerre ; d’une famille résidant dans un immeuble conçu par Auguste Perret au Havre, accueillant tant bien que mal des visites publiques ; d’Aline Cézanne, petite fille du peintre, ayant connu une enfance aisée jusqu’à ce que l’héritage ait été dilapidé par ses parents ; d’un peintre chinois taiseux, Deng Guo Yuan, enfin.

Le sujet est éminemment personnel. Secret en un sens, même si, habitués du FID, vous connaissez plus ou moins quelles sont la vie et les oeuvres antérieures de Creton (Secteur 545, Maniquerville…). Au programme : art, littérature et agriculture. Ecoutez-le lire, dans la toute première séquence, des passages d’Un Poing dans la bouche de Goldschmitt (publié chez Verdier) : il murmure d’abord puis élève la voix en quête d’une affirmation franche. Car l’art ne va pas de soi, surtout lorsque vous menez une vie d’apiculteur et de contrôleur laitier. Son affirmation nécessite prudence et imprudence. L’affirmation claire d’un monde et le murmure de l’art dans l’entrelacs des branches et la capacité du film à recueillir des histoires simultanément et sans priorité nationales et personnelles. On peut bien sûr entendre en contre bande une forme d’autoportrait, chez cette famille condamnée à vivre au passé dans les murs de Perret ; dans l’évocation de Cézanne et la douleur d’avoir travaillé, avec acharnement et sans reconnaissance ; dans le bavardage et le mutisme des campagnes de France et du monde entier. On peut y entendre aussi la vie tortueuse du langage qui, selon Goldschmitt, ne circule que par des portes dérobées dans le mutisme puissant des paysages. La fascination pour la destruction et la mort guide toujours le documentaire, ici comme ailleurs. Voyez les preuves, dans Tres Semanas Despues de José Luis Torres Leiva, du séisme ayant récemment détruit le Chili. Certains n’y verront que des plans descriptifs de gravats, de maisons désossées et d’habitants désoeuvrés. Mais, après l’expérience d’une splendide ouverture au noir dans une salle que les basses font trembler, ces images sont les premiers murmures d’une refondation.

Revoyez Mysterious Object at Noon (2000) de Joe Palme d’or ou The Perfumed Nightmare (1979) de Kidlat Tahimik (Anthropofolies) : la voix sans cesse déviée de son parcours par la forme du cadavre exquis choisi par l’un, par le jeu grinçant de traduction du tagalog en américain choisi par l’autre, est la plus convaincante expression d’une résistance nationale à l’uniformisation des vainqueurs de l’Histoire. Voyez enfin Pandore de Virgil Vernier : c’est un théâtre, seulement animé de quelques panoramiques préparant des joutes rapides ou insupportablement vindicatives entre le physionomiste d’un club et ses clients prétendants. Laisser à la pensée le temps d’accourir, toujours : trop tôt, trop tard, intempestive.

Ce qui me semble poser une question qui hante ces premiers jours du FID, de Carmelo Bene à Apichatpong, de Creton aux Hijos, collectif de cinéastes auteur de Los Materiales : celle de l’extase. L’extase comme moyen de sortir du sens, de la parole, du politique – ou de les porter tous à un niveau supérieur. Pour l’instant, un film a trouvé la sortie. C’est le plus enfermé et le plus ouvert des films de Jean-Claude Rousseau. Un miracle de dialectique, une surimpression vertigineuse d’une caverne et d’une veduta, il s’appelle Mirage et repasse demain à 13h.

par Antoine Thirion
samedi 10 juillet 2010