spip_tete

7 – 14 février

FIFE 2012

29e festival international du film d’environnement

C’EST POURTANT SIMPLE

Opa-Locka will be beautiful, d’Arnaud Morain [Compétition courts] 5.5

Animals distract me, d’Isabella Rossellini [Compétition courts] 2.0

Black Tide, de Joe Berlinger [Compétition documentaires] 4.0

Le Paradis des Bêtes, d’Estelle Larrivaz (sortie le 14 mars) [Compétition fiction] 3.0

Y’a pire ailleurs, de Jean-Henri Meunier (sortie le 21 mars) [Hors compétition] 6.1

La Terre outragée, de Michale Boganim (sortie le 28 mars) [Compétition fiction] 6.5

Nana, de Valérie Massadian (sortie le 14 avril) [Compétition fiction] 7.4

Bovines, d’Emmanuel Gras. (sortie le 22 février) [Compétition documentaires] 6.0

La Place, de Marie Demora. [Compétition documentaires] 3.6

Hell, de Tim Fehlbaum (sortie indéterminée) [Compétition fictions] 3.8

Surviving progress, de Mathieu Roy. [Compétition documentaires] 5.9

Nuclear Savage, d’Adam Jonas Horowitz. [Compétition documentaires] 3.9

Alma, de Patrick Rouxel. [Cycle thématique] 3.0

Le cinéma écologique n’a pas grand-chose à dire, mais il le dit parfois très bien. Le Festival International du Film d’Environnement (FIFE, donc) permet de prendre la mesure de ce « parfois ». Il faut cependant commencer par expliquer « pas grand-chose ». Des dizaines de films, fictions et documentaires, courts et longs, venus de tous les pays, ont défilé dans les trois salles du Cinéma des Cinéastes entre le 7 et le 14 février 2012. Un seul message – puisqu’il s’agit bien de cinéma « engagé » – s’affichait toujours : la Terre est exsangue, mise à mort par la finance comme les porcs l’étaient autrefois par les fermiers. Le FIFE dresse le portrait d’une humanité qui s’est détachée de sa mère et, ne sachant plus d’où elle vient, ne sait plus où elle va. Si la compétition réservée aux documentaires était très inégale, la compétition de fictions réservait de belles découvertes. Le cinéma écolo est un genre exigeant : il faut savoir s’en remettre à son manichéisme fondamental tout en évitant la caricature. Jongler avec la simplicité. Être grave sans verser dans le sensationnalisme. Exprimer le pessimisme mais transmettre l’espoir nécessaire à l’action. Plus qu’un art : une philosophie.

DOCUMENTAIRES

Le siècle à venir est pourri. Il paye les frais du précédant tout en se devant de sauver d’avance le suivant. Cette donnée de base, deux documentaires de la compétition la rappellent au public, tous deux caractérisés par un très fort sensationnalisme. Marée noire avec Black Tide, de Joe Berlinger, désastre nucléaire avec Nuclear Savage, d’Adam Jonas Horowitz, ancient militant de Greenpeace. Chacun de ces documentaires à l’américaine sur des sujets américains a été conçu pour la télévision : les mêmes informations sont répétées tous les quarts d’heure, après chaque page de pub. Le phénomène pose vraiment problème dans Nuclear Savage, qui assène ad nauseam les mêmes images choc – si bien que la fascination de l’auteur pour l’explosion de la bombe H sur Bikini en 1954 finit par biaiser le propos. Le documentaire d’Horowitz (prix spécial du jury) vaut surtout pour sa métaphore d’ensemble : l’homme a atomisé le Paradis terrestre, ses cocotiers, ses plages de sable fin. La juridiction d’Obama fera le reste, et se débrouillera comme elle pourra avec les preuves soulevées par le film d’expérimentations infâmes effectuées à l’époque sur les populations indigènes. Black Tide revient sur la marée noire provoquée par l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon en 2010. Autre Paradis perdu, gros plan sur les larmes d’une océanographe en guise de final. Le scandale est écologique autant que financier, les pêcheurs n’ayant pas été dédommagés à la hauteur de ce qu’ils ont perdu. Autre cadeau pour Obama. On se croirait dans Forrest Gump, avec ces pêcheurs à l’accent si prononcé que certains doivent être sous-titrés. Touchant portrait d’une société clouée à son environnement détruit. Ce constat sociologique revient souvent dans le festival : les hommes ne quittent pas leur environnement, aussi pourri soit-il. Que ce soit les pêcheurs de Louisiane ou les tziganes de La Place, de Marie Demora, l’homme est cette créature têtue qui préfère vivre mal à vivre ailleurs. En d’autres termes : peu importe à l’homme que la Terre soit polluée ou pure. Il se satisfera de n’importe quoi.

Le film de Marie Demora, en compétition également, se place dans le sillage de La BM du Seigneur, de Qu’ils reposent en révolte, de Jimmy Rivière : le film politique sur les gens du voyage est en passe de devenir un genre. Le chemin des tziganes, aux marges de la société de consommation, ne les ramène pas à la nature, mais les conduit aux déchets. Ils ne vivent pas de laine et de bois, mais de nylon et de plastique. Tragédie d’une société entourée de toc. Le documentaire raté de Demora mime ce toc. La réalisatrice ignore comment se fondre dans le décor qu’elle filme : ses sujets saluent la caméra, s’incrustent dans le cadre, jouent la comédie. Ce qui apparaît en creux, c’est que la réalisation d’un documentaire sur eux suffit au bonheur de ces gens, si bien qu’ils ont l’air satisfaits dans leur enfer. Les enfants s’amusent. Les vieux aussi, même si leurs jeux amènent à la police. Nouveau tableau d’une communauté résignée, annonce de l’humanité tzigane de 2060, sur une planète devenue taudis mais qui n’aura plus le cœur d’en sortir, et se réjouira de quelques artefacts en plastique. Et puis Demora dérape. Elle filme le parrain de la communauté insistant sur le fait que l’endroit où il vit n’est pas « La Place », son nom de scène, mais « un camp ». Ce n’est pas très joli, « un camp », souligne la réalisatrice en off. Quelques minutes plus tard, un pianiste joue sur son synthé coincé en mode « réverbération toc » le thème de La Liste de Schindler. Demora raccorde, tandis que la musique joue toujours, sur un jeune en chemise blanche à rayures noires verticales. A ce moment, se lever et quitter la salle apparaît comme la moindre des politesses.

Autre portrait d’une communauté dans un environnement bidon, Opa-Locka will be beautiful, d’Arnaud Morain, est plus intéressant. Le court-métrage de cet élève du Fresnoy s’intéresse à un quartier de Miami conçu dans les années 30 comme une utopie orientaliste, devenu banlieue chaude. L’architecture de pacotille n’abrite plus aucun rêve et ne constitue que le décor étrange d’une population qui n’y prête même plus attention. Aucune référence n’est faite à l’islam. Les hommes, ici bas, vivent séparés de ce que leur environnement peut symboliser. Ce que filme Morain, c’est la perte totale du sens des symboles. Elle est d’ailleurs à l’oeuvre dans les plus médiocres documentaires entrevus ici. D’abord un court-métrage d’Isabella Rossellini elle-même, Animals distract me, autobiographie nombriliste sans réel intérêt écologique. Un désintérêt qui la conduit à réaliser le prodige de ne filmer aucun des animaux urbains dont elle parle, si ce n’est son chien. On aurait probablement crié au génie si Michel Gondry avait été derrière ce documentaire animalier « suédé » ; on est juste mal à l’aise face à ce qui s’apparente à un épisode avec guest-star de C’est pas sorcier. Lors de la scène où l’actrice se déguise en bactérie et, couchée sur de fausses paupières géantes, reçoit dans la figure quelques giclées de camboui, censées représenter le mascara que reçoivent lesdites bactéries, plonge l’assemblée dans un profond malaise. Aperçu dans un cycle thématique, le cas de Patrick Rouxel est différent. Il incarne plutôt la mauvaise manière de répéter l’unique message de l’écologie. Alma présente un Paradis animalier silencieux puis, brusquement, fait intervenir une tronçonneuse trucidant un arbre. Une scène de vêlage est filmée avec cinquante coupes, et la caméra placée juste derrière les fesses de la vache. Une scène d’abattoir montre une bête assassinée par une machine métallique. Autant d’images qui, servies avec la volonté d’en tirer tout le pathos, se déréalisent complètement, ternies par la manipulation dont elles sont victimes – des images paradoxalement rechargées dans les fictions, vêlage en plan fixe dans Bovines d’Emmanuel Gras, mise à mort du bétail dans Y a pire ailleurs ou Nana.

FICTIONS

Le FIFE invite à se projeter dans les décennies à venir. Années 20, années 30, années 40. Il invite aussi à se projeter dans un futur beaucoup plus proche, en l’occurrence le début du printemps 2012. De nombreuses avant-premières – en accès gratuit, toujours – étaient proposées au public.

Bovines, d’Emmanuel Gras. (sortie le 22 février) [Compétition documentaires]
Sublimant la réalité des troupeaux, Emmanuel Gras fabrique un univers parallèle et aurait eu sa place dans les fictions. Une vache urine, une autre met bas. Bienvenue dans un monde où tout est égal. La vie, la mort, la pluie, le soleil. Tout arrive et rien ne se passe. On est entre Beckett et Jurassic Park. Les vaches sont présentées comme d’immenses animaux sauvages, des monstres, et l’on entend leurs cris tels qu’ils ont été samplés et réutilisés pour les sons de dinosaure des films de Spielberg. Les vaches cessent d’être ces gros animaux placides et comestibles. Ils redeviennent d’immenses bêtes dans des plaines désertes. Une bâche vient, poussée par le vent, comme un événement immense, rompre la monotonie. La bâche et les vaches, même plénitude, même calme. Comme chez Beckett, les métaphores arrivent de manière accidentelle : une vache essaie de brouter le soleil. Aspiration à l’infini de ces animaux que l’on s’imagine calmes et idiots. Arrive un enfant. L’enfant et la vache, ces deux-là vont ensemble, on les retrouve dans Nana, rencontre de l’admiration et de la peur (awe) devant la nature nourricière – ce qui manque à ceux qui la détruisent. Le film d’Emmanuel Gras est cependant plus qu’un film engagé. Le réalisateur n’est pas « contre » quoi que ce soit. Pas végétarien ou quoi que ce soit – le réalisateur le dit lui-même, il mange de la viande. Ce qui l’intéresse, c’est le rapport de l’homme à l’animal sauvage et domestique. Ce qui l’intéresse, c’est enfin la quête de la perfection de la représentation de cet animal. En cela, son œil égale celui de ces réalisateurs anglais financés par la BBC pour aller filmer la savane. Le montage révèle une chorégraphie parfaite des animaux dans le carré du pré, dans celui du cadre. Ses gros plans myopes sur le mufle, le pelage, les yeux écarquillés des animaux qui broutent, réactivent cet émerveillement perdu devant l’origine du monde, et l’origine de la viande.

Le Paradis des Bêtes, d’Estelle Larrivaz (sortie le 14 mars) [Compétition fiction]
Estelle Larrivaz ne comprend pas vraiment elle-même ce que fait son film dans la programmation du FIFE. « Mon film parle d’environnement familial », répète-t-elle, avant que la programmatrice ne reprenne le micro pour expliquer une première fois (bien d’autres suivront) que le festival n’entend pas seulement parler de la Nature, mais de la place de l’homme dans un milieu donné et qu’en cela, l’histoire du Paradis des Bêtes – un père kidnappe ses enfants et les emporte dans les Alpes suisses – a sa place dans la programmation. Malheureusement, il est bien plus question d’environnement familial que du rapport de l’homme à l’environnement. Le Paradis des Bêtes se destine aux associations de protection des femmes battues. Les scènes de violence conjugale entre Stefano Casseti, à la fois cliché de l’italien infidèle et éternel Roberto Zucco, et Géraldine Pailhas, épouse stupide, sont interminables. Les dialogues sont savamment banals, l’écriture est lourde, il suffit pour s’en rendre compte de compter les variations sur les expressions françaises comportant le mot « chien » – le « Paradis des Bêtes » étant d’abord l’animalerie tenue par le personnage de Cassetti. Après un début tout en disputes, dont la réalisatrice peut se targuer d’y avoir atteint un réalisme criant, le père arrache sa progéniture à la maman christique. Tournage sur les pistes de ski, images volées de montagnes : ce qui devrait être une escapade dans la nature s’avère une tentative de montrer au public que l’équipe s’est déplacée hors des studios cheap des intérieurs, mais ne conduit nulle part. A noter, la présence de Muriel Robin, qui a pris goût aux personnages infects. Elle a droit ici à une scène étonnamment violente dans laquelle elle menace une fillette de la torturer pour la faire parler. Dans la salle, le public décontenancé se met à rire. On s’attendait à un film sur l’environnement, on tombe sur des enfants maltraités par une humoriste. Il y a de quoi être perdu.

Y’a pire ailleurs, de Jean-Henri Meunier (sortie le 21 mars) [Hors compétition]
Y a pire ailleurs est le volet final d’une trilogie consacrée par Jean-Henri Meunier aux habitants de Najac, dans l’Aveyron, restés hors du temps et des considérations écologiques contemporaines. Le tout enregistré par une petite caméra numérique, la VX-1000, qui se garde bien de déréaliser les habitants et d’en faire des personnages de cinéma. Cela n’empêche pas Meunier de faire preuve d’un réel sens du cadre et d’évoquer par moments l’esthétique de certains tableaux du XVIIIe siècle : de la peinture à l’huile à la caméra numérique, animaux tannés, cochon saigné, oies gavées sous les poutres des chaumières, les natures mortes de Chardin prennent bel et bien vie. Mais c’est plutôt de Kaurismaki et de Cassavetes que se réclame Meunier, et son portrait d’une société imperméable aux déformations des temps modernes est rempli d’un humour simple, pris sur le vif, comme tout le reste. La mort d’un des personnages, Henri, humble vieillard, est ainsi l’une des plus émouvantes que l’on ait pu voir au cinéma. Détachée de toute contingence scénaristique, elle arrive comme ça, pas beaucoup plus bruyante que le 11-Septembre 2001 que l’on entend passer à la télé, furtivement, une demi-heure plus tôt. L’émotion ne vient pas du fait qu’Henri avait le rêve de se construire un gyrocoptère et n’y soit pas parvenu, mais plutôt de la sérénité avec laquelle lui-même accepte l’impossibilité de sortir de sa vie campagnarde, qui n’est pas grave, qui n’est pas un enfer, qui n’est pas plus triste ou plus compliquée qu’autre chose. Dans les villes, la mort semble un scandale, un échec des médecins, de la technologie des chirurgiens. Ici, sa mort n’est qu’un supplément de nature apporté à son existence. Henri partage pourtant quelque chose en commun avec ses milliards de semblables citadins. Meunier montre bien qu’à sa mort, l’homme avait entassé beaucoup, beaucoup de ferraille. La nature de l’homme est peut-être là.

La Terre outragée, de Michale Boganim (sortie le 28 mars) [Compétition fiction]
Peu de films ont été tournés sur la catastrophe de Tchernobyl. Lauréat du prix de la meilleure fiction et du prix du public, La Terre Outragée est le premier à l’avoir été dans la Zone même : cinq jours de tournage, évacuation sanitaire, période de latence, retour de l’équipe pour cinq autres jours… C’est à Olga Kurylenko, star en Ukraine et ancienne James Bond girl inaccessible de Quantum of Solace, que la réalisatrice Michale Boganim doit d’avoir recueilli les fonds nécessaires à son récit. L’actrice tient ainsi le rôle principal de cette histoire se déroulant sur deux décennies, de son mariage le jour de la catastrophe, en 1986, à sa vie de guide touristique dans le désert des villes irradiées. Si aucun film n’avait encore jamais été fait sur le catastrophe, c’est d’abord en raison du tabou qui l’entoure encore en Ukraine – à titre de comparaison, trois films japonais sont d’ores et déjà en préparation sur Fukushima. C’est aussi que Tchernobyl, l’un des plus graves cataclysmes qu’ait connus l’humanité, est aussi l’un des moins cinégéniques : nul champignon nucléaire, nul monstre mutant à l’horizon. Boganim fait pourtant preuve d’une inventivité que n’auraient pas reniée certains grands maîtres du suspense : les trombes d’eau qui s’abattent sur la région de Tchernobyl, et accentuent le phénomène de contamination du territoire, symbolisent à elles seules l’ampleur du désastre – on en vient à redouter de voir les personnages sortir sans parapluie, comme on craignait les coups de vent dans Phénomènes de Shyamalan et les éternuements dans Contagion de Soderbergh. Les animaux, porcelets, poissons, abeilles, mourant les uns après les autres, sont aussi porteurs de radiations et d’une véritable inquiétude qu’un documentaire n’aurait sans doute pas réussi à caractériser avec autant de succès – dans Black Tide, le documentaire sur Deepwater Horizon, un scientifique expliquait que ce qui arrivait aux animaux finirait toujours par arriver aux humains, mais ce n’était jamais qu’un information supplémentaire. Boganim, issue du documentaire (Macao sans retour en 2004 et Odessa… Odessa ! en 2005), ne se comporte pas en militante plus qu’en cinéaste. Aucun engagement excessif anti-nucléaire ne vient plomber une histoire qui s’attache surtout à montrer ce que l’on ne sait pas : Terre Outragée est un film sur les traumatismes et les cicatrices avant d’en être un sur le nucléaire, et s’attache surtout à ces populations, leitmotiv du FIFE, qui se refusent à quitter leur environnement dévasté. Le personnage de Kurylenko est en effet incapable de quitter Tchernobyl, tandis qu’une paysanne tirant sa vache, symbole de ces paysans restés en vie malgré les radiations, traverse le cadre à plusieurs reprises. La radioactivité est en effet ce monstre silencieux, jamais aussi bien représenté que lors d’une scène de visite où la guide fait entendre à ses touristes le silence qui règne dans la ville fantôme. La caméra recule lentement, sans un bruit, jusqu’à ce que dans un grondement, un troupeau de chevaux sauvages au galop ne fasse irruption dans le cadre. Nul besoin de monstres radioactifs. Une citation de La Guerre des Mondes de Spielberg, et de son train enflammé fonçant devant la foule, suffit.

Nana, de Valérie Massadian (sortie le 11 avril) [Compétition fiction]
Léopard du meilleur premier film à Locarno, Nana est plus qu’une fiction à hauteur de fillette, c’est un documentaire sur l’enfance à l’état de nature – avant la lecture, avant les sentiments, avant la ville et la télé : l’enfance à l’état de plume, dans lequel la fillette est encore, comme le dit la réalisatrice lors de l’entretien qui suit la projection, un « petit animal un peu nerveux », pas encore domestiqué. Il se peut qu’un insert de mousse précède Nana dans sa marche vers la forêt, où les rires de la fillette et les pépiements des oiseaux se mêlent en une unique harmonie naturelle. Il arrive aussi que sa mère meure au milieu de l’humus, et que Nana quitte le tableau pour rejoindre son univers de contes. Ailleurs, trois branches l’enveloppent dans un bord de l’image, comme un berceau. La mère mourant en secret pourrait être la planète polluée, malade, laissant le soin de continuer seuls à des écologistes en herbe qui ignorent encore tout des affres de la planète moribonde qui les attend. Ce n’est cependant pas le principal. Nana a 4 ans. Dans une forêt du Perche, près de Chartres, elle regarde son grand-père mettre à mort un énorme cochon dans la cour de la ferme. Ce plan-séquence inaugural restitue au regard aseptisé des consommateurs de steak haché que nous sommes, comme au regard vierge de la petite, la durée entière de la saignée. Pour manger, il faut tuer : la scène de mise à mort du cochon parcourt le FIFE 2012 comme un fil rouge (sang) – quoiqu’elle soit coupée dans Y a pire ailleurs, dans lequel les paysans se moquent bien de l’instant où trépasse la bête, et où le montage pare au plus pressant, son dépeçage. Dans Nana, la petite fille et la mort occupent le cadre, l’une dans un coin, l’autre au milieu. La caméra est tantôt littéralement à hauteur de l’enfant, à peine plus haut que les herbes d’un fossé en bord de route, tantôt fascinée par les mêmes choses que lui. Les grands-pères de Y a pire ailleurs regrettaient que leur mode de vie touche à sa fin. Nana raconte l’initiation d’une fillette à celui-ci. La dernière phrase du film prend ainsi un sens plus général. « Ça va papy ? », demande Nana. « Oui », répond papy. Rassuré.

Hell, de Tim Fehlbaum (sortie indéterminée) [Compétition fictions]

L’éco-thriller est un genre assez récent dans lequel l’Apocalypse tient à un éveil agressif de la Nature qui entreprend d’exterminer l’homme (Phénomènes et Contagion en font partie). Dans le film de Tim Fehlbaum, l’eau vient à manquer. Les guerres de l’eau étaient au cœur de plusieurs séances du FIFE : When the water ends d’Evan Abramson, La Guerre des eaux de Philippe Prudent et Water on the Table, de Liz Marshall, autour de la militante Maude Barlowe. Il en est également de plus en plus question dans les films de grande distribution : le méchant de Quantum of Solace (2008) spécule sur l’eau en Bolivie, où se déroule Même la Pluie (2010), pseudo-Ken Loach d’Iciair Bollain dans lequel une équipe de tournage découvre les conditions d’accès à l’eau. Hell est produit par Roland Emmerich : on reconnaît d’ailleurs son style de copiste, lui seul aurait osé produire un tel décalque de La Route, film de John Hillcoat sorti en 2009. Les héros sont toujours ces SDF parcourant des chemins parsemés des ruines de notre civilisation actuelle. Retour roots pour le réalisateur d’Hollywood, ici on parle allemand : si Hell signifie Enfer dans la langue d’Anonymous, il désigne la clarté dans celle de Goethe. Et pour cause, les plans sont surexposés de manière à signifier ce futur où tout le monde crève de chaud, où l’eau manque – mais surtout, semble-t-il, le pétrole. On a bien, au début, l’impression d’une adaptation du roman de Cormac McCarthy encore plus fidèle que le film de Hillcoat. On devine bien vite que cette projection du samedi soir est une série Z. L’argument écolo disparaît au profit de situations éculées : torture industrielle (un homme se fait tuer avec la même arme que le cochon au début de Nana, belle cohérence de la part des programmateurs), nécessité de s’enfuir, cannibalisme, courses-poursuites dans la forêt, violeur potentiel… Toutes ces mésaventures se produisant sur un groupe de héros aux cheveux constamment dans les yeux et à la respiration savamment essoufflée. Mais personne n’a soif.

Surviving progress, de Mathieu Roy. [Compétition documentaires]

L’autre producteur de renom à apparaître au générique de cette édition du FIFE est Martin Scorsese. Et pour cause : le premier charme du documentaire de Mathieu Roy tient à la vitesse à laquelle s’expriment les intervenants, jusqu’au monologue halluciné d’un démographe tchèque, Vaclav Smil, qui s’exprime comme le réalisateur des Affranchis. Loin de ses sujets de prédilections – la musique, la préservation des films – Scorsese se penche sur la préservation de l’humanité et de sa propre musique à lui, toute de nervosité et de catchlines incroyables. L’argument de base est plutôt efficace : la culture moderne est un software trop développé pour le hardware vieux de 50 000 ans qu’est le cerveau de l’homo sapiens. L’exécution de l’ensemble ne se prive pas, malgré le style TV illustratif auquel elle se plie, de quelques réelles trouvailles visuelles (un plan large accéléré de l’aéroport de Los Angeles sur lequel les avions se posent comme des lucioles). « Il est très difficile de remettre le génie dans sa bouteille. » « Rendre les singes plus intelligents était une impasse. » Il est question en ce moment d’effacer la dette de la Grèce : un ancien banquier de Wall Street explique que ce qui caractérise l’économie moderne, c’est l’impossibilité d’une telle action de nos jours. Or l’homme est endetté vis-à-vis de la planète et se figure qu’elle saura se montrer plus généreuse que lui envers ses semblables – ce qui est une erreur. Surviving progress, qui sortira aux Etats-Unis au mois d’avril, devrait passer sur Arte dans l’année qui vient.

Fin de la séance : Edgar Morin, vénérable philosophe de 90 ans, se lève et prend le micro. « Le rapprochement que vous effectuez avec les Mayas et les Romains n’est pas valable. D’abord parce que nous sommes les premiers à attaquer la planète dans ses fondements. Ensuite parce que nous sommes une civilisation mondialisée. L’effondrement de l’empire romain n’a pas affectée l’empire chinois… Là, si ça s’effondre, ça s’effondre partout. »

« Depuis Condorcet, on pense que le progrès est une bonne chose. Cela ne fait que 30 ans que l’on s’inquiète pour l’avenir. Tout cela, c’est la faute de Descartes. Il est le premier à théoriser la séparation homme/nature, en considérant les animaux comme des machines, des choses sans âme, tandis que l’homme serait au-delà de la Nature. » Morin s’emporte. Sa voix part dans les aigus. « La barbarie, c’est nous. La technologie a déchaîné les potentialités barbares de l’humanité. Nous sommes devenus un peuple de myopes. La formation secondaire et universitaire qui enseigne que la complexité est un idéal à atteindre a lancé le règne des experts aveugles. » Silence ; applaudissements.

Le FIFE ne s’est pas contenté de répéter l’urgence d’agir pour l’environnement et l’écologie contre les lobbys, la finance débridée. Il formule un idéal de simplicité. L’écologie simple contre l’économie complexe. Si la planète est en danger, c’est pour des raisons simples. Si le Golfe du Mexique, Tchernobyl, Fukushima, Bikini sont des portions de planète mortes, c’est pour des raisons qu’un enfant de quatre ans pourrait comprendre. Toutes les réflexions complexes qui en découlent – sortir du nucléaire ou non, financer l’énergie éolienne… - tiennent à un changement de cap aussi radical qu’il est simple. Mais que quasiment personne n’a encore vraiment pris. Au terme du quinquennat du prochain président français, il y aura plus de nouveaux venus sur Terre qu’il n’y en a eu pendant tout le Moyen Age. Il va falloir leur expliquer. Des dizaines de documentaires, même inégaux, ne sauraient être de trop.

par Camille Brunel
vendredi 2 mars 2012