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34e Festival du Réel

Notes du samedi 24 partie 1/2

Billet #2

Dochters

Marta Jurkiewicz, Pays-Bas, 2011, 23’, (Compétition courts-métrages).
5.3

L’Oiseau sans pattes

Valérianne Poidevin, France-Suisse, 2011, 65’, (Contrechamp français).
7.7

Double retour vers l’intimité familiale dans les séances de ce samedi après-midi. L’un est aussi mélodramatique que l’autre est badin et lumineux. Entre Dochters, un peu plombé par le pathos et les fêlures mères-filles irrésolues, et L’Oiseau Sans Pattes, road movie documentaire entre une jeune fille et son oncle routier-comédien, on préfère volontiers le chemin emprunté par le deuxième. Énième programme de filiation et de transmission douloureuses, Dochters s’ouvre dans la confusion des images et du texte : un décalage entre les souvenirs en super 8 d’une grand mère décédée et la conversation Skype (au passage : il faut vraiment avoir l’oreille, ou être prévenu de vive voix) entre la réalisatrice et sa mère. Marta Jurkiewicz, de retour en Pologne (elle vit aux Pays-Bas), vient aider sa mère à ranger et vider l’appartement de la défunte. Triste idée, tristement traitée : le cours de la mémoire afflue alors qu’une maison se vide, chaque objet ramenant à un souvenir bien précis. Le film n’atteint pas grand chose parce que trop indécis, formellement et thématiquement, naviguant entre réminiscence dans le registre passé, anecdotes, et confession brutale dans les larmes. Comme si l’émotion ne pouvait provenir que du seul retour dans la famille, de la mise en scène des conséquences d’un drame, d’un retour d’une mère vers sa fille après dix ans d’absence.

On a déjà au Réel vu beaucoup de films s’attacher aux liens du sang. Aux vieux, à ceux qui passent le relais avant de disparaître. Mais jusque-là, pas un ne l’a formalisé avec autant de vivacité que Valérianne Poidevin. L’oncle de la réalisatrice est présenté d’emblée d’avantage comme un héros débonnaire qu’un cas sociologique et familial : un chauffeur routier, à ceci près qu’il est passé par le cours Simon, qu’il est féru de Tenessee Williams et Céline (« entre autres », précise t-il). L’intelligence du film est de ne pas s’attarder sur cette particularité comme une curiosité de freak mais de le décliner dans un récit fictionnel, léger, voyagé et rêvé. Pourtant bien réel : entre deux lectures dans son domicile nu aux allures de chambre d’hôtel, Jean-Yves Durand n’évacue aucun des problèmes concrets que lui pose sa nièce (qu’il juge, de manière un peu sévère, “bourgeoise”) : travailler en intérim plutôt qu’en CDI, gagner sa vie sans forcément apprécier son activité, aimer lire passionnément sans avoir décidé de continuer à jouer la comédie. On ne peut qu’admirer la précision que la cinéaste impose d’emblée dans sa mise en scène de l’intimité, de ces jump-cut qui pour une fois, témoignent d’un souci réelle d’efficacité. Les règles qui sont par ailleurs simples, d’une méthode digne d’un buddy-movie. Le film, et c’est sa force, n’oublie jamais son fil documentaire tout en tentant des envolées comiques. L’exiguïté de la cabine dans le camion, crée au moment de dormir et d’éteindre la lumière, son lot de plaisanteries, comme dans un bon film d’aventure Hollywoodien. Pour faire rire sans forcer le trait, il faut un duo que tout oppose -culot magnifique de réaliser une quasi comédie documentaire : talent comique de Valérianne Poidevein et Jean Yves Durand ; expérience du taiseux répondant à la malice de la jeune fille, colère bourrue de Jean-Yves qui explose devant la distance et l’énergie triomphante de la jeune fille. Le film renoue le fil de l’acteur qui n’a pas fait carrière : contrairement à l’idée reçue qu’un artiste qui choisit de faire autre chose est un raté, il montre que tout est là chez l’oncle, intact. Le temps d’un voyage, le temps d’un rêve, le temps d’un film. L’expérience au cinéma est encore possible : lorsque Valérianne raccorde face caméra des anciennes photos de Jean-Yves prises au cours Simon et le cadre frontal sur lui au moment de rejouer un texte de Tenessee Williams extrait de La Descente d’Orphée, la réalistrice remonte le temps dans un ingénieux simulacre de flash back. L’oiseau sans pattes, qui a éternisé son vol pour retarder à l’infini l’atterrissage peut enfin reposer les pieds sur le sol ; dans son émouvant regard caméra, Jean Yves Durand revisite d’un seul coup d’oeil toutes ces années qu’il pensait peut-être avoir laisser filer : pour de vrai, pour toujours, sa nièce a fait de lui un héros de cinéma.

par Thomas Fioretti
dimanche 25 mars 2012

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