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willie love

alias : the white shad

Goodbye Willie Love, on se souviendra de toi forever. Ta disparition nous écœure d’autant plus que la Shadothèque avait décidé de mettre ton travail à l’honneur, tu le savais. Un rayon spécial de notre librairie cinéma était destiné à accueillir une série de beaux mugs « Spectre de boîte à boules », ton film le plus célèbre, ton film le plus maudit.

J’ai connu Willie il y a à peine quarante ans. Il chantait et jouait du piano dans le Faustaud, local pourri de Los Angeles pour trois sous et un club sandwich la night. Pur hasard, ou bien sacré destin, un soir chaud comme la braise de l’été 1973 j’y foutis les pieds en compagnie de mon brave Costaud Grave. On buvait une Bud à la bouteille (eh oui, j’étais jeune), on bavardait, on matait, on écoutait. Willie monta sur scène. S’assit au piano. Commença à chanter. « Quel nul ce con », qu’il dit Costaud. « Et quel blaireau tu fais Costaud », me dis-je en moi-même. Je l’aimais bien, mais son goût pour l’art était alors aussi affûté que ses films l’ont été par la suite. Ceci dit, il savait reconnaître un looseur à cent lieues de distance. Entre esprits semblables... Willie avait en effet une voix merdique et une vraie tête de jobard. Mais la musique. Ah, la musique... Elle était d’une élégance incomparable. On aurait dit que cet air pop lui avait été soufflé directement du Paradis.

Après le spectacle je n’eus pas de mal à amener le jeune homme dans un steak house. On eût dit que cela faisait des mois qu’il ne s’était pas mis de la viande sous la dent. Cela faisait plutôt des années. Je lui proposai sur le champ, ou plutôt sur une assiette de frites, un contrat très avantageux. Surtout pour moi, je dois l’admettre. Mais encourageant aussi pour un jeune débutant inconnu comme lui. Il le signa avec son doigt imbibé de ketchup. En échange des droits de sa musique passée, présente et à venir, je doublai le cachet qu’il touchait au Faustaud. Il se mit à travailler dur sur une cantada rock, jour et nuit. Cela prenait du temps. L’occasion se présenta de vendre le morceau écouté au Faustaud à un jeune réalisateur de série B qui cherchait une bande son pour prochain film. Je n’hésitai pas.

Pendant plusieurs années, je n’eus pas de nouvelles de Willie. Je lui devais encore pas mal de sandwichs. Cela pesait lourd sur la conscience de Shad. Il réapparut un soir sans prévenir, il y a quelques années. On cherchait alors un événement pour ouvrir la nouvelle Shadothèque. Il vint dans mon bureau pour réclamer mon ancienne dette. L’argent, toujours l’argent... On aurait dit Jean-Pire Foudardemerdegauchiste. Qui plus est, je trouvais son insistance bien peu élégante. Il me raconta toute une histoire tire-larmes à propos de sa sœur malade et d’une fille, une certaine Iphoenix, chanteuse Catalane qui lui était promise mais qui, selon ses dires, m’avait suivi en France. Outre que je n’avais aucun souvenir de cette histoire, Willie me fit l’effet d’un Edmond Dantès qui, n’ayant pas croisé d’abbé dans sa prison, n’est jamais devenu Sinbad le marin mais juste un vieux looseur. L’homme me faisait tout de même de la peine... Sentimental que je suis, je lui rappelai qu’il était encore sous contrat. Il me devait une cantada. Je lui mis à disposition un beau bureau pour terminer le travail. Presque tous les soirs, je lui amenais une copieuse assiette de tartines, restes des soirées à la mezzanine – soirées qui ne semblaient pas l’intéresser puisqu’il restait dans son bureau. Il est vrai que j’avais pris l’habitude de l’enfermer à clé (je tenais à ce qu’il se concentre), mais il n’a pas protesté une seule fois et j’ai des raisons de croire qu’il ne s’est jamais aperçu de cette précaution.

La suite des événements n’est plus claire dans mon souvenir. Pour sûr, il a terminé son travail, puisque le CD est en vente actuellement à la Shadothèque. Mais il insistait pour jouer sa musique et n’était pas d’accord pour que sa cantada fût interprétée, lors de la soirée d’ouverture par les Roumones, un groupe punk de Nantes qui montait à l’époque, dont le leader, contrairement à notre pauvre Willie, avait l’étoffe du winneur, bref, d’un vrai artiste. La suite montra que Shad avait raison. Ce qui n’empêcha pas Willie de faire tout un scandale. Il jeta plusieurs tartines au saumon dans la poubelle et se cassa pour de bon. Willie, mon pauvre Willie. Au nom de la réussite, j’ai laissé entrer tous les braves et les mauvais garçons que j’ai été, tous les esprits malins qui me dérangent et les anges qui en sont parfois les vainqueurs : eux tous sont réunis en moi désormais. On se souviendra de toi forever Willie. On n’oubliera jamais tous les sacrifices que tu as fait au nom du love.

par Shad Teldheimer
mercredi 18 avril 2012