Au cours d’une soirée, un homme s’adresse à un autre. En bon hôte, il glisse quelques mots aimables à l’invité de sa femme. Il le sait écrivain ; il est en train de lire son dernier roman. Il le félicite, et lui assure qu’il s’y replongerait aussitôt s’il n’avait pas de compagnie. Visiblement irrité par cette démonstration de politesse, l’autre esquisse à peine un sourire. Ce personnage antipathique, aussi sûr de son fait que peu soucieux de le masquer, interprété par Louis-Do de Lencquesaing, est le héros d’Au Galop, premier long métrage de l’acteur devenu scénariste et réalisateur.
De quel droit l’auteur affiche-t-il son ennui devant la conversation qu’offre le bourgeois, prompt à s’excuser de son ignorance en matière de littérature ? Qu’il sache que la femme de son interlocuteur est déjà amoureuse de lui, et qu’il couchera bientôt avec elle n’est pas si important. Qu’il puisse disserter sur l’art et la vie, découvrir avec aplomb que la mort de son père est l’événement le plus important depuis la naissance de sa fille, non plus. Plus encore que celui qui l’accueille, il semble pourtant dans son élément. Il n’a pas à se montrer plus ou moins chaleureux ou cordial pour l’occasion ; il est en société comme dans l’intimité. Écrivain, il parle comme il écrit, et imagine sa vie comme celle de son héros. Il vit de sa nature plus que de son métier. Un homme qui est “dans le yaourt” ne pourra jamais rivaliser avec celui qui est simplement dans la vie.
Ce pourrait être un nouveau Weyergans, s’il se lassait parfois de ses conquêtes faciles. Homme pressé mais sans emploi du temps, sa contenance lui vient de sa course après les péripéties quotidiennes. Foulée tranquille plus que galop, imitation enjouée de celle du Père de mes Enfants, c’est celle de qui pense au suicide comme un geste élégant. Le cinéma français adulte a trouvé son nouveau héros : riche comme Balsan et bavard comme Léaud, il vit dans les décors de Pialat avec les goûts de Truffaut. Il hérite d’un domaine en province, mais sait bien que ce n’est pas ce qui fait de lui un roi. Son vrai baptême est une dépression, à vingt ans, un sacre à l’Hôtel-Dieu, comme son père avant lui et bientôt son beau-fils. “La branche refleurira”, c’est certain : avec tant de pères dont se réclamer, le travail n’y manquera jamais.