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Machete  de Robert Rodriguez

Latino en l’arme

7.8

On le pensait définitivement disparu du cinéma américain, et voici qu’il revient. Qui ? Le 22 novembre 1963. Il a environ quarante sept ans et une gueule à faire peur.

De Robert Rodriguez, vous connaissez le chapeau de cow boy, les lunettes noires, l’air sympa, Une Nuit en enfer, Desperado, Sin City, Planète Terreur. Cette semaine il vous présente son cousin par alliance Danny Trejo, dit Machete, le tueur mexicain sorti d’une fausse bande-annonce au début de Planète Terreur.

Trejo a vécu. Sa gueule n’a pas vieilli sur Apple. C’est celle d’un ancien forçat – enfant toxicomane puis homme boxeur, braqueur, prisonnier, revenu des enfers dans quelque cure hollywoodienne qui le fit acteur, généralement vilain, affublé de rôles qu’on imagine diversement grotesques dans plus de 260 films depuis 1983. Dont ceux de Rodriguez. Machete est un personnage récurrent imaginé par ce dernier en 1993, comme un contrepoint latino de Desperado ; ses apparitions remontent, paraît-il, à Spy Kids.

C’est dire qu’il n’est pas frère du démon souffrant joué par Mickey Rourke dans Sin City, même s’ils rivalisent en matière de cicatrices. Dans Machete, la fausse bande-annonce, il n’était qu’un héros aux histoires tronquées, prétendument grandes, efficacement kitsch. Le parent pauvre de la comédie gore teen grindhouse dans lequel il était inséré. La figure du cinéma d’action latino, désabusé et marqué par le temps, tuant autant de vilains qu’il tourne de téléfilms d’action. Un Shaft, un Super Amigo, un Bruce Lee. La surprise de Machete, le film entier, n’est pas seulement que, passant au premier plan, il fasse se pâmer Jessica Alba ; mais que la parodie et son arrière-goût vain disparaisse sous une conduite sèche, logique, et même souvent exaltante : de celles qui ont compris Opération Dragon.

C’est un film à sujet, et son sujet n’est pas un simple prétexte mais son décor et son poids. Les Mexicains cherchent depuis des décennies à passer la frontière américaine pour faire fortune, se faire exploiter voire abattre. Exécutant cruellement les immigrés passant la frontière sous son nez, un sénateur ultra-conservateur, interprété par De Niro à son meilleur, est blessé par l’un des siens au cours d’une parodie d’assassinat au télé objectif. Machete porte le chapeau : contracté pour tuer l’ordure, prime à la clé, il devient le bouc-émissaire d’une stratégie de victimisation à fins électorales et médiatiques. Ce n’est pas son scénario.

Ce piège est évidemment une variation parodique de l’assassinat de JFK, avec à la place de Kennedy, un pourri qui recourt à l’omniprésence médiatique, et à la place d’Oswald un homme oscillant entre le sublime et l’idiot. Avec sa machette, deux sbires le prennent pour un jardinier : on peut les comprendre. Si le mexicain, moins simplet qu’il n’y paraît, se révèle triple agent, c’est peut-être par citation de la réelle identité d’Oswald - toujours selon la plupart de thèses du complot, il fut agent et informateur au service du Pentagone, de la CIA, du FBI, voire du KGB. C’est aussi qu’il n’y a aucune raison qu’un latino ne soit pas aussi un héros américain - donc double, triple et surtout bon et sincère. Le détail, c’est que l’immigré mexicain est américain à la place des américains. Leur homme providentiel.

Ce héros rappelle donc des choses. Parmi elles, le motif de l’idéalisme américain et de sa déflagration dans le crâne pulvérisé de JFK revient comme un petit jouet grotesque. Parodie implicite d’une ère du cinéma américain traumatisée par le 22 novembre 1963. J.B. Thoret, qui en France en a dressé le corpus, cite Baudrillard et Fréderic Jameson. De celui-ci, théoricien d’école marxiste, il rappelle qu’il considère l’assassinat de John Kennedy à Dallas, dans Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (ed. Beaux-arts de Paris), comme l’évènement déclencheur des temps postmodernes : de l’image déconstruite, fragmentée, explosée. Ensuite, l’individu politique est devenu simulacre, il s’est retranché dans air force one et la papamobile.

Pour Baudrillard, dans Simulacres et Simulations (ed. Galilée), toujours cité par Thoret, « les Kennedy mouraient parce qu’ils avait encore une dimension politique. Les autres, Johnson, Nixon et Ford, n’ont eu droit qu’à des attentats fantoches, à des meurtres simulés. Mais il leur fallait quand même cette aura d’une menace artificielle pour cacher qu’ils n’étaient plus que des mannequins du pouvoir. Le roi devait mourir jadis (le dieu aussi), c’était là sa puissance ». Attentats fantoches ? Maintien d’une aura artificielle ? Mannequins du pouvoir ? C’est ce que Machete chuchote.

Sans surprise, Rodriguez traite le postmoderne sur le mode du bricolage, de l’impureté, y compris littérale : plus proche de Death Proof, du cinéma abîmé, de la charpie numérique. Bien sûr Rodriguez n’est pas Tarantino. D’ailleurs, on a déjà à peu près oublié le film. On l’a trouvé heureusement plus calme qu’attendu, en pensant qu’il s’agissait peut-être du fait qu’il a techniquement été réalisé par Ethan Maniquis, dont c’est le premier film.

Le même gag revient : quand les deux sbires joufflus, complets noirs, écouteurs et flingues ultramodernes, évoquent la possibilité d’être assassinés par la machette et la pioche d’un jardinier, l’hypothèse s’avère immédiatement. Qu’est-ce d’autre que l’élimination de deux caricatures post-modernes par un héros d’une post - post-modernité : celui qui, las des idioties inoffensives, ne renonce pas à construire du sens, à reprendre du service et à opposer aux attentats fantoches une vengeance qui, tout en ne cessant pas d’être fantaisiste, ne croira jamais qu’en ses propres armes.

par Antoine Thirion, Francesco Boille
samedi 4 décembre 2010

Titre : Machete
Auteur : Robert Rodriguez
Nation : États-Unis
Annee : 2010

Avec : Danny Trejo (Machete) ; Michelle Rodriguez (Luz) ; Jessica Alba (Sartana) ; Robert De Niro (Sénateur McLaughlin) ; Lindsay Lohan (April Benz) ; Cheech Marin (Padre Benito del Toro) ; Jeff Fahey (Michael Benz) ; Steven Seagal (Torrez) ; Don Johnson (Lt. Stillman) ; Cheryl Chin (la femme de main de Torrez).

Durée : 1h58.
Sortie : 1er décembre 2010.

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