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C’est pourtant une phrase simple. Tellement simple qu’on redoute vite une explication très compliquée. Compliquée comme la vie est simple jusqu’à ce qu’on y mette le nez. Comme le cinéma français aime y mettre le nez, Je suis heureux que ma mère soit vivante est la somme des détours nécessaires pour arriver à cette phrase simple.

La simplicité désarme et la complication ennuie. L’une est évidente et l’autre opaque. Comme un adolescent, comme Vincent Rottiers sur l’affiche du dernier Claude Miller (avec son fils Nathan) qui montre un jeune garçon aux yeux bleus et à l’arcade sourcilière pansée. Tout va bien tant qu’on leur trouve de la fraîcheur. Il suffit de démêler leur nœud d’affect, de simplifier leur ego inexpérimenté avec un regard d’adulte pour que cela devienne mignon et nostalgique. Il arrive cependant toujours un moment où l’ado décide d’agir à sa guise et de vous compliquer la vie par des crises, des insultes, des tunépamamère et des fugues. Et cela devient pénible et grotesque. Mais ce sont les deux faces d’une image unique, celle de l’adolescent empêtré dans sa vie d’adolescent, laquelle serait plus simple si un adulte, ou un spectateur, la menait à sa place.

Cette image unique, Claude Miller la travaille depuis longtemps. Serge Daney remarquait à propos de L’Effrontée qu’ « il faudrait se contenter de décrire Charlotte [Gainsbourg], treize ans, agaçante et gracile, rêveuse et volontariste, téméraire et apeurée, belle et laide, illuminée par un rien et assombrie par moins que rien. Devant une image unique, ce sont les adjectifs qui viennent à l’esprit, et aligner des adjectifs, ce n’est pas faire travail de critique ». Il parlait du cinéma dans sa pente publicitaire. Dire qu’une majeure partie de la critique a pris le même chemin n’étonne personne, il suffit d’aller faire un tour sur Allociné pour lire sous les plumes des vieux de la vieille (D. Heymann, P. Murat, F. Garoscope) des choses comme « grâce palpable », « à vif », « authentique », « magistral », « naturel », « intense », « captivant ». Des choses qui ne veulent toujours rien dire repassées à l’envers : « hystérique », « vide », « incolore », « inodore » (Les Inrockuptibles).

À mort l’adjectif. La principale bizarrerie du film de Miller & Miller, c’est qu’il bâtit une intrigue psychanalytique de manière totalement transparente. À plat, horizontalement. Il enchaîne époques et flashes-back comme s’il n’y avait aucune zone d’ombre. À douze comme à dix-huit ans, le héros Thomas n’a aucun mal à se souvenir de ses cinq ans, avant l’abandon de sa mère. Adulte, il peut alors retrouver sans problème sa mère biologique. C’est assez curieux mais pourquoi pas. Les intrigues psychanalytiques avec zones d’ombres ont assez étouffé le cinéma, français ou autre, pour s’en réjouir. Mais c’est une façon de peindre encore et toujours la même image, qu’elle ait cinq, douze ou dix-huit ans. Le même petit être amoureux de sa mère et ne demandant qu’à retourner sous sa jupe. Autant dire qu’on a vite compris comment cela allait se terminait, et qu’il faut beaucoup de platitude et de complications pour rendre l’issue de ce fait divers spectaculaire. C’est vrai que le dénouement prend de court. Mais uniquement dans l’équilibre interne du film car pour le reste, il n’y a rien de moins inattendu qu’une tentative de meurtre par treize coups de couteau. Il suffit d’avoir vu trois films français pour savoir qu’un adolescent taiseux regardant un paysage a priori neutre à travers une vitre, comme au générique de ce M & M, finira inévitablement par la casser dans un accès de rage. Aussi invraisemblable soit-il, le meurtre est nécessaire à un portrait conjuguant, en dépit du temps, innocence et monstruosité, évidence et opacité. C’est la pire manière de s’intéresser à l’adolescence et la plus répandue, la plus naturelle, intense, magistrale, à vif, hystérique et vide.

par Antoine Thirion
mercredi 30 septembre 2009

Titre : Je suis heureux que ma mère soit vivante
Auteur : Claude Miller, Nathan Miller

France, 2009

Avec : Vincent Rottiers (Thomas), Sophie Cattani (Julie Martino), Christinne Citti (Annie Jouvet), Yves Verhoeven (Yves Jouvet)

Sortie : 30 septembre 2009

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