[4] Victor (Eliott Paquet) et Rainer (Dominik Vojcik) vont en boite de nuit. Rainer refuse les propositions d’un jeune homme. Victor se prend un râteau de la part d’une jeune fille blonde. Sortant de la boite, Victor est pris à part par un jeune bourgeois. Victor gagne l’affrontement oral et fait match nul lorsqu’on en vient aux mains. Les deux amis marchent dans Paris. Ils traversent la ville. Sur le quai du RER, Victor est approché par une fille qui essaye de le séparer de Rainer. Victor est séduit mais refuse la sirène. Il amène Rainer dans un bois. Les deux s’allongent et s’avouent réciproquement leur amour. Il se remettent à marcher.
[5] Joyce et Baudelaire pèsent lourd, mais n’étouffent pas le film qui, à sa manière, résiste. Le sujet n’est pas le spleen – comme on a pu lire ici et là. Il y a du spleen certes. Il n’y a pas que ça. Une dimension psychologique plus élémentaire et donc plus profonde l’anime.
[1] Au début, une voix off explique la procédure d’achat d’une voiture dans l’ancien URSS : on paye à l’avance, on attend dix ans pour la livraison. À la sortie de la boite de nuit, Victor s’arrête sur les marches d’un escalier et pleure, Rainer se joint à lui et le console lui donnant à téter une cigarette. Le plan, en contre-plongée, et l’éclairage des réverbères qui coupe la nuit par faisceaux de lumière jaune accentuent le graphisme anguleux du décor, des visages et des statues. Sommes-nous à Paris ou bien à Odessa ? En 2012 ou bien en 1905 ? Partout, des références à la Russie. Qu’est-ce que ces images viennent faire là ?
[2] Le cinéma de Tarkovski a donné une image puissante de ce que l’URSS, en tant que fiction, rêve ou horizon représente : L’Union est une machine à désirs. Voire une double machine, dont le fonctionnement a été expliqué par Slavoj Zizek. Dans Solaris, la planète aliène réalise les désirs secrets du Ça. Désirs que le Moi ne connaît pas ou qu’il préfère refouler. Dans Stalker, au contraire, pour que la machine fonctionne le Moi doit se rendre dans une zone interdite et formuler ses désirs clairement. Ce dont il est incapable. L’une miroir de l’autre, ces deux machines nomment le paradoxe du désir. Ce paradoxe est l’Union Soviétique. Zone interdite et planète, Stalker et Solaris à la fois. Lieu qui réalise les pires pulsions et qui ne réalise pas les rêves promis. Bref, un double cauchemar.
[3] Dans L’Âge atomique on retrouve ces deux pôles : Victor ignore son véritable désir homosexuel. Ou il essaye de le noyer dans un hyperactivisme viril. Rainer connait très bien ses sentiments, mais il est incapable de les formuler. Il regarde, souffre en silence, attend son ami et lui offre des cadeaux.
[6] Est-ce que la fin, avec l’aveu dans le bois, sort les deux héros de leur isolement réciproque ?
[7] L’élément remarquable du film est, une fois de plus, le son. Pour la première fois, la boite de nuit est un lieu habitable. Quand les personnages dansent, le volume est fort. Quand ils se parlent, on entend de manière nette et distincte leurs mots. Ce n’est pas seulement que la musique baisse. C’est comme s’ils se parlaient dans un autre espace. Le son de la musique arrive diminué, comme s’il passait à travers des cloisons. Cet espace isolé où les gens se parlent ne peut être que leur propre crâne. Autrement dit : il ne se parlent pas vraiment. Ou bien, il « se » parlent. Comme des monades, ils n’ont que l’illusion d’interagir.
[8] La fin sauve de manière élégante nos deux amis. Mais elle sacrifie la puissance du film, dont elle désamorce la charge. Elle ne mène, comme les célèbres chemins, nul part. Le bois, pendant que le jour se lève, est paisible, fleuri, féérique. Les héros, pour se parler, ont dû quitter la ville. Sortie de la société, la psychologie aussi n’a plus de sens.