Le cadre tient en quelques traits : la ligne d’horizon, celle, fixe aussi, du bord de l’eau, et cette autre, à peine plus mouvante, qui sépare l’espace réservé aux touristes de l’hôtel de celui où les attendent les vendeurs ambulants locaux. D’un côté les corps blancs, potelés et déjà abimés des Autrichiennes venues chercher un bain de jouvence ; de l’autre les Kenyans, statues noires aux muscles saillants, proposant leurs services contre un prix négociable. Les figurines des deux vitrines se regardent face à face en silence. La corde n’a valeur d’interdit que dans un sens, et l’héroïne n’attend pas longtemps pour céder aux invitations des harangueurs et franchir la limite. Parler de dispositif serait bien inapproprié : la mise en scène de Paradis : Amour dispose sans installer, et observe le déroulement de l’histoire sans l’obliger à nous surprendre. Jamais l’acte ni sa rétribution ne seront oubliés, l’objet même du scénario étant cet espoir chaque fois déçu, le culot et la résignation qu’il faut pour revenir plus ou moins vite à la case départ.
Paradis : Amour est un film très écrit, avec une précision et même un humour dont le non-germaniste aura peine, paraît-il, à saisir toutes les subtilités. Du swahili à l’anglais et l’allemand voire aux particularismes autrichiens, les écarts de la langue forcent à exprimer toutes les maladresses des gestes. Aussi lents et méthodiques soient-ils, ni l’apprentissage de la tendresse ni celui de l’exploitation ne sont possibles. Juger l’entreprise trop démonstrative, comme l’a fait la meilleure part de la presse hexagonale, revient à regretter que le film n’exécute pas son héroïne au lieu de faire traîner son calvaire en longueur. La répétition d’un même schéma, le retour des mêmes images, créent derrière les variations comme une accoutumance, qui les rend de moins en moins remarquables. Plus rapide, le récit aurait pu être vraiment comique, mais il aurait fallu plier le rythme à une mécanique régulière, opter sans détour pour un format carré où rien ne dépasserait. Il faudrait forcer, grossir le trait pour accuser la caméra de Seidl de rigidité ou, avec moins de subtilité encore, de rigueur autrichienne. Autant reprocher à la plume qui use ainsi de l’adjectif d’être elle-même bien française : prompte à se reposer sur des acquis comme des vieilles habitudes pour se permettre la caricature.