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Cinéma du Réel 2013

Excusez-moi, j’ai perdu le programme

Bois d’Arcy, de Mehdi Benallal (France, 2012, 24mn) + Fuck For Forest, de Michal Marczak (2012, Allemagne-Pologne, 1h25)

42 films répartis sur 3 compétitions, plus d’œuvres et moins d’animaux que l’année dernière, un recentrement sur la création contemporaine : succédant à Javier Packer-Comyn en tant que directrice artistique, Maria Bonsanti signe ici sa première édition du Cinéma du Réel. Certaines choses, cependant, ne changent pas. On cède encore au désir de se rendre aux séances que personne ne nous avait recommandées. Ainsi, Bois d’Arcy, en compétition courts-métrages, marque-t-il la collaboration de deux jeunes réalisateurs avec lequel l’auteur de ces lignes avait eu gentiment maille à partir lors des années passées : son réalisateur, Mehdi Benallal, avait répondu par mail à notre article de 2011 au sujet d’Aux rêveurs tous les atouts dans votre jeu, et son producteur Guillaume Massart (Triptyque Films) avait réagi, lui aussi, à notre critique de son film sur quelques forums internet, défendant sa Découverte d’un principe en case 3. Filmant la banlieue de façon ennuyée, statique, endormie, Benallal assène en voix off des réminiscences de racisme ordinaire ; pas aussi ordinaire cependant que la conception du documentaire déjà observée chez Massart, qui consiste à filmer un rond-point en panoramique circulaire ou à s’en remettre à la connivence auteur/public beaubourgeois, en filmant sans rien dire des arbres immobiles sur lequel pépient sobrement de petits oiseaux straubiens. Tout est dit, rien ne l’est, et Bois d’Arcy se fait la caricature de ce que le Festival du Réel propose de moins intéressant.

Cinq minutes plus tard, au bureau des attachés de presse, une jeune femme m’arrête. Elle porte un tatouage à la Harry Potter, sorte d’éclair bordeaux, sur la tempe gauche, et s’adresse à moi en anglais.

« Tu es journaliste ? », demande-t-elle, « nous faisons une manifestation derrière Notre Dame à 17h, nous nous mettrons nus, tu veux venir ? »
« Oui. »

Pas la moindre idée de qui elle est. Elle porte un long manteau noir, ses cheveux noirs aussi sont emmêlés ; je croise en la quittant un jeune homme, yeux bleus, perruque rose, qui joue du pipeau. 17h sonnent à Notre Dame, je retrouve sur le parvis Dany et Orga, ainsi qu’un journaliste de Libé qui prépare leur portrait pour Next. Un portrait de qui, alors ? Des deux représentants à Paris de Fuck For Forest, une association atypique à laquelle est consacré le documentaire diffusé ce premier samedi soir au Nouveau Latina, rencontre du Festival du Réel et des séances Panic ! Cinema du Latina, spécialisées dans le cinéma de genre qui tache un peu. Signé Michal Marczak, le film, que je n’ai pas encore découvert, raconte comment Dany, à l’origine adolescent norvégien hippie entre Kurt Cobain, Jared Leto et David Bowie, devient une sorte d’illuminé convaincu qu’en exhibant son sexe dans toutes sortes de circonstances il fait progresser la cause écolo dans le monde. Orga, elle, est de Berlin. Chose sûre : ils ne sont pas maîtres de ce qu’ils représentent. Leur action dit la perte de repères et l’ennui plus que toute autre chose. Là est leur charme. Dans cette manière qu’a Orga, sur le parvis de Notre Dame, de me demander si la police va l’arrêter, ce que font les militaires du plan vigipirate au milieu des touristes, de chercher à fabriquer du danger autour d’elle. Nous marchons en direction du parc, derrière le chevet. Dany présente ses revendications, habillé comme à carnaval, maquillé comme Johnny Depp, sous sa perruque rose vif (tiens, le voilà qui statufie sur Facebook, à l’instant : « enjoy your life, as long it is in the pink ») : « The world really, really needs peace right now... » Encore une fois, ce n’est pas tant ce qu’il dit qui fait sa valeur que le temps qu’il met à chercher ses mots pour se rabattre sur l’expression la plus basique de son idéalisme, dénuée de toute crainte d’être ridicule. Et puis l’absurde guette : « Si vous voulez porter une burqa, vous devez avoir le droit de porter une burqa. La nudité est un droit de naissance. » Orga et Dany laissent s’éloigner les militaires de vigipirate, « symboles du fascisme ». Je tiens l’appareil dans une main, mon iPhone dans l’autre pour les filmer, ils entrent dans le cadre, devant les arbres sans feuilles, devant Notre Dame ; Orga enfile sa burqa léopard, ouvre grand son manteau noir et révèle sa toison pubienne et ses seins ; Dany l’imite, détache son string, écarte les jambes, son sexe pend là, il brandit un panneau : « Freedom to choose. » Ils posent pendant deux secondes qui semblent une éternité, puis filent à l’anglaise, persuadés qu’on va les poursuivre.

Je les rejoins en marchant. Ils me remercient pour les photos. Dany entreprend de me raconter ses aventures en Amazonie. Ses yeux grands ouverts sont clairement ceux de quelqu’un qui a vu ce que je n’ai jamais vu, mangé ce que je n’ai jamais mangé. Il me rappelle vaguement Tommy, le garçonnet élevé par les Indiens dans La Forêt d’Emeraude de John Boorman. Il aurait été abandonné au milieu du Mato Grosso par le réalisateur du film projeté ce soir, aurait eu à faire du stop sur 2000km, à manger des champignons pendant des mois pour revenir à la civilisation après être parti rencontrer des Indiens menacés par la déforestation. Il n’a pas eu son mot à dire sur le film fini, qu’il découvrira en même temps que le public du festival – ce n’est pas étonnant, mais je comprends que ça l’agace. Je les salue, pars m’asseoir sur un trottoir du Pont Saint Louis, et me lance dans mon petit travail de journaliste version 2013 : je partage sur Facebook les deux vidéos tout juste enregistrées sur mon téléphone. “Faites tourner”. Que voit-on sur la vidéo ? Deux jeunes nus pendant une fraction de seconde, Esmeralda et Clopin naturistes perdus dans le nouveau siècle, incertain de ce qu’ils revendiquent.

par Camille Brunel
mardi 26 mars 2013

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