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Cannes 2013

Fort Corse

Quinzaine #3

Les Apaches vise le portrait de la Corse contemporaine, dans toutes ses contradictions. Cette Corse alors, à quoi ressemble-t-elle ? La reconstitution à l’américaine, friande de détails aussi imaginaires que plausibles, d’un fait divers – un ado assassiné par ses amis après un cambriolage – illustre, en vrac : 1 le code de l’honneur archaïque qui régit les rapports sociaux, 2 le machisme et la dignité désuète qui en découlent, 3 l’attachement absolu à la Terre des uns et la volonté de rejoindre le continent des autres, 4 la coquetterie de la jeunesse, 5 l’antipathie manifeste des Corses envers les vacanciers « Gaulois », (les colons des « Apaches »), 6 la construction frénétique d’immeubles partout et 7 le rapport entre Corses et Arabes. De Peretti semble souligner le fait qu’en Corse ces deux communautés se rejoignent dans le rejet de la prétendue supériorité des Gaulois, alors qu’en vérité les Arabes restent de l’autre côté d’une sorte de barrière sociale tacite.

Le film, comme son titre le suggère, se rêve en western mais comporte assez peu de plans larges et reste proche de ses jeunes acteurs. Enregistrement en temps réel de la vacuité des échanges entre jeunes, scènes d’intimité adolescente, grain hyper-numérique des scènes nocturnes, en dépit d’une certaine crudité annoncée par l’image, la violence extrême du fait divers d’origine est éludée au profit de la chronique.

Trois Apaches (Thierry de Peretti, François-Joseph Culioli et Hamza Meziani) et un Indien (CB).

INDE – Quel a été le point de départ des Apaches ?

TdP – Un fait divers et l’envie de parler d’un endroit que je connais. En même temps, il y a une nouvelle de Stephen King, tirée de Différentes saisons, qui s’appelle The Body (la même qui a inspiré Stand by me) : trois jeunes ados partent dans un truc un peu initiatique parce qu’ils doivent enterrer le corps d’un de leurs camarades de classe. C’est une nouvelle qui n’a rien de fantastique, mais qui est quand même traversée par des forces un peu obscures.

INDE – Qu’as-tu ajouté au fait réel ?

TdP – Je ne saurais pas le dire. J’avais très peu d’éléments sur ce qui s’était passé, juste une chronique dans Corse Matin. Après, comme on a tourné le film vraiment à l’endroit où ça s’est passé, j’ai entendu des trucs.

INDE – Tu as fait Zodiac en Corse.

TdP – Après, les acteurs connaissaient l’esprit du lieu. On voulait être très précis sur certaines choses, sur le périmètre où ça s’est passé par exemple, mais le niveau d’exactitude psychologique n’est pas le même : mes personnages n’ont pas le même âge que dans la réalité, par exemple. Après, il s’est trouvé que certains acteurs connaissaient deux des vrais assassins.

INDE – Quelle place as-tu accordée au paysage ?

TdP – Le plan de paysage qui suit le meurtre révèle qu’il y a des villas. On voit que personne ne sort la tête pour voir s’il y a eu un coup de feu ou pas. C’est un endroit totalement déserté, mais en même temps, il y a quand même des villas au loin.

INDE – As-tu cherché à donner un côté mythologique au paysage, comme dans les Western ?

TdP – Ce meurtre-là n’est pas sacrificiel. Il n’est pas expiatoire. Il est à la fois prémédité et complètement improvisé, et on est surtout dans l’imitation de ce que doit être une exécution. J’ai hésité longtemps avant de mettre juste après l’exécution ce plan de paysage que j’ai longtemps trouvé trop grand, trop ample, trop beau, presque malickien, avec les roseaux, la montagne pas loin. Pour le décor du meurtre, j’ai beaucoup hésité avec une plage style pasolinienne, style Ostie, où on a tourné les répétitions. Elle était plus petite, plus anti-spectaculaire, et elle me plaisait vraiment parce qu’elle était dynamique : on pouvait courir dans la boue, il y avait des marécages, des serpents…

INDE – Comment as-tu conçu l’aspect visuel du film ?

TdP – J’ai pensé au Western classique d’avant le scope, en format 1:33. Je savais aussi qu’il y allait y avoir un degré de réalisme, lié au jeu des acteurs notamment et à la réalité des décors – on n’a rien fait construire. Du coup le format carré, pour moi, imprime de la fiction, permet d’échapper un peu au côté documentaire. Puisqu’il y a de la fiction, le film a été écrit, dialogué. Et puis il y a le côté polaroïd du format carré, qui correspond bien à l’idée de portrait que je recherchais. Enfin, je ne voulais pas de caméra à l’épaule du tout. Je ne voulais pas de cette dimension physique-là. Je voulais que ce soit physique, oui, mais pas que ce soit nerveux. J’avais aussi envie de durée, j’avais envie de voir bouger les acteurs dans le cadre.

INDE – Dans son intérêt pour le détail, le film se montre parfois assez dur. Du coup, on est surpris de ne pas revoir le père de la victime à la fin du film.

TdP – L’idée, c’est de fonctionner comme pour une nouvelle. Si on avait retrouvé des personnages de la première partie à la fin, ça aurait impliqué un rapport au réel qui m’intéressait moins. Pour moi, Les Apaches est plus proche d’un film d’horreur, que d’un film où on se demande comment résoudre intérieurement le problème. Je voulais éviter que le spectateur se pose des questions de rédemption. A la fin, d’ailleurs, le meurtrier porte un t-shirt avec un clandestin en armes, avec une cagoule et une kalashnikov.

INDE – Le tout dernier plan, sur la fête autour de la piscine, est très énigmatique. Pourquoi quelques danseurs miment des coups de feu ?

TdP – C’est la chorégraphie de Paperplanes, de MIA. Elle coïncidait avec l’histoire. Je voulais un plan plus grimaçant et violent mais il s’est déroulé comme ça, de façon très fluide. Donc on a l’évaporation de François-Jo, qu’on ne voit même pas sortir, avec comme un volet qui se ferme. Les figurants regardent la caméra. Peut-être que tout ça raconte quelque chose sur l’invisibilité. Je ne sais pas. On parle de gens qui disparaissent, et qui déjà avant étaient invisibles. La fin est comme ça, avec ce côté spectral, un peu fantastique – pas moral, en tout cas.

INDE – La pose de François-Jo sur le canapé ressemble à celle du personnage sur l’affiche de Ken Park, c’est délibéré ?

François-Joseph Culioli – Pas du tout, je me suis mis comme ça naturellement. On ne fonctionnait pas à l’instinct.

Hamza Meziani – C’est Thierry qui a mis en scène. On a travaillé plus de deux ans avec lui, on a pris le temps de découvrir les personnages. Il y a un peu de nous, bien-sûr, mais le vrai personnage a été écrit par Thierry, et on essayait de jouer avec.

TdP – Et le rapport à la construction du personnage n’est pas le même chez tout le monde. Pour jouer l’assassin, il fallait creuser plus. Il y a une question de durée chez Hamza, quelque chose qui monte et qui se transforme et qui a vraiment été construit ; d’autant qu’on n’a pas tourné dans l’ordre, ce qui aurait été plus facile.

INDE – Ton prochain film sera sur la jeunesse ou sur la Corse ?

TdP – Pas sur la jeunesse, non. Enfin, pour moi, Les Apaches n’est pas un film sur la jeunesse, même s’il y a des jeunes dedans. J’aimerais faire deux films en Corse, un film super-abstrait sur Napoléon et ses grognards, et une sorte de remake très urbain du Train sifflera trois fois, en une journée, un moment de vérité, avec un personnage de quarante-cinquante ans, un truc vraiment très noir qui se passerait à Ajaccio, une ville pleine d’immeubles seventies… Presque futuriste.

par Camille Brunel
samedi 25 mai 2013