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Cannes 2013

Samedi 25 mai

Laid assez doux

7.5

Il ne faut croire qu’à moitié l’accueil dithyrambique réservé à La Vie d’Adèle (Chapitre 1 et 2) et prendre en compte le contexte d’une compétition sans rien d’indiscutablement neuf ni fort, quoiqu’on nous suggère ici et là de vite rattraper le film de Jia Zhang-ke. Rien à porter au pinacle, pas davantage à clouer au pilori ; dans cette moyenne, Abdellatif Kechiche, qui semble viser toujours plus le centre, est à l’aise.

Son Adèle (Adèle Exarchopoulos) est en effet, dans quelque marge qu’elle s’aventure, une pure incarnation de la norme. Sexuelle par amour mais ni homo ni hétéro. Intelligente et curieuse mais dénuée d’autre ambition pour elle-même que de rendre ce qui lui a été donné. Passionnée par la littérature mais réticente à tout travail d’analyse. Séduisante sans qu’une intention ne la tire vers la laideur ou la beauté ; une pure adolescente qui mange ses spaghetti bolognaise en s’en mettant partout, dont la bouche entrouverte laisse un filet de bave sur l’oreiller, qui embrasse effrontément et rompt sans s’excuser. Adèle Exarchopulous est sœur de Sara Forestier (L’Esquive) et de Hafsia Herzi (La Graine et le mulet) : elle a à la fois la souveraineté de l’enfant que l’adulte envie de ne jamais baisser les yeux et la persévérance de l’actrice rompue à un travail acharné.

Tout ce qui relève de l’incarnation est beau. Comme la danse du ventre de La Graine, la longue scène de sexe entre Adèle et Emma (Léa Seydoux) est mémorable. Les trois heures filent sans accroc dans le pur magnétisme du jeu et de la durée, avec une douceur que ne laissaient pas présager les rumeurs courant sur le tournage. Aussi l’excuse-t-on plus volontiers que La Vénus Noire d’envoyer son héroïne pleine de bon sens dans l’arène d’une humanité prétentieuse et hautaine, de la voir se décomposer peu à peu dans une fête où elle est encore moins à l’aise avec les amis artistes d’Emma que les skateurs de Wassup Rockers lorsqu’ils s’introduisent à Beverly Hills dans une fête décadente.

Lorsqu’Emma expose finalement ses peintures dans une grande galerie de Lille, le résultat ostensiblement mauvais désamorce la prétention élitiste de son cercle et la renvoie au commun. Les discours tenus sur la morbidité d’Egon Schiele ou sur la supériorité de l’impressionnisme par des élites de province sont comiques, sans plus, car ici tout est convoqué à titre de couleur locale, dans une logique pittoresque amusante qui ne laisse pas un souvenir impérissable.

par Antoine Thirion
dimanche 26 mai 2013