Deux films cohabitent dans Grand Central, l’un séduit, l’autre pas. Le premier est la description technique et minutieuse du travail à haut risque dans une centrale nucléaire. L’autre une histoire d’amour de stars déguisés en prolétaires plaquée, nocive, et vouée au désastre. À la tête des travailleurs se trouve l’usé Gilles (Olivier Gourmet). Il enseigne les rudiments du métier au jeune repris de justice Gary (Tahar Rahim, toujours pas sorti d’Un prophète). Le premier tiers met l’accent sur les méthodes de survie en milieu hostile : comment un homme vêtu d’une large combinaison descend dans les profondeurs vers le coeur d’un réacteur. Comment, aussi, les accidents arrivent ; comment chacun prend le risque de s’exposer à la « dose ».
Cette dose invisible d’émissions radioactives, on s’en doute, s’avère aussi puissante que le poison amoureux. À ce titre, la première apparition de Karole (Léa Seydoux) plombe l’histoire à venir avec Gary. Réunis autour d’une table, les ouvriers jouent au carte, boivent, discutent de cette fameuse dose. Karole, cheveux blonds aussi courts que son short, s’approche de Gary et lui décrit les symptômes les plus graves, en particulier ce moment où le produit de la fusion commence à devenir dangereux -jambes qui tremblent, souffle court, et tout le baratin amoureux. Elle achève sa démonstration par un baiser. Curieux, ce point de départ n’annonce pas tant l’échec d’une romance banale et aléatoire mais plutôt la mise en place d’un parallèle entre le frisson sentimental et la toxicité atomique. Karole hésite entre la fuite vers d’autres horizons et la stabilité avec sa brute de mari Toni (Denis Ménochet, épais). Grand Central, lui, choisit de ne jamais quitter cette interzone et s’en tient en 94 minutes au seuil de sa métaphore bancale.
Des intérimaires du nucléaire et de la débrouille, vivant en roulottes comme des gitans : le cadre social est précis. Il se meuble de personnages à la lisière de la société, brûlés par la dangerosité de leur travail, tuant le temps entre deux bières et un rodéo mécanique, souvent à proximité des magouilles. Avec un peu d’imagination, ce cadre aurait pu être celui d’un film des Dardenne, à la différence que leur cinéma ne loupe pas le moindre geste, ne manque aucune parole, capte l’essence de la violence des échanges humains. Zlotowski s’emmêle dans l’idée à la fois incarnée d’un cinéma d’ambiance réfutant la caractérisation et l’épaisseur psychologiques, et trop théorique car il établit une distance précise avec ses héros, une hauteur typique du cinéma d’auteur. L’ensemble est paradoxalement soutenu par un scénario maîtrisé jusque dans ses zones d’ombre – le passé de Gary, ou d’autres détails auquel on ne comprend volontairement rien.