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Roland-Garros 2014

#1 Ne change rien

Federer-Nadal, 34ème match

PREMIER JOUR

Nadal et Federer s’affrontent pour la trente-quatrième fois. Ce ne pouvait être qu’une finale : la vingt-et-unième entre eux. L’Espagnol mène 23-10 dans leurs confrontations. A Roland-Garros, sur terre battue, Nadal a toujours vaincu Federer : quatre fois en finale, cinq fois au total. Le film est donc connu : les plans seront les mêmes, les gestes également, la mise en scène, aussi. Dans ce scénario prévisible, la différence est ailleurs : le match est potentiellement infini. Bien que l’issue soit certaine (une défaite de Federer), il n’y a donc que la forme des images et les coups qui les peuplent qui nous intéressent. Les deux premières images de l’affrontement relèvent du déjà-vu. Elles pourraient former un générique de série : un plan serré sur les fesses de Nadal en train de tirer sur son caleçon pour assurer son confort. Après un balaiement intégral de la ligne par le Majorquin, le contrechamp arrive : le plan sur la tête de Federer, ses mains replaçant les cheveux derrière ses oreilles ; les mains faisant rapidement tourner sa Wilson avant chaque retour adverse. Cette partie de tennis peut se prolonger sur plusieurs jours, comme une sitcom le fait sur plusieurs saisons, à la différence que les participants n’échangent pas de blagues sur deux canapés situés face à face. Ils se renvoient la balle, debout, mais la position assise des joueurs lors des pauses n’est pas à négliger. Lors du tournoi de Wimbledon en 2010, John Isner et Nicolas Mahut ont joué trois jours, avec plus de onze heures de jeu effectif et un score au delà du réel : 70 jeux à 68 pour le géant américain dans le cinquième acte. Autant dire qu’ils ont dû passer une ou deux heures assis en attendant les changements de côté. Deux heures, soit six épisodes de sitcom. Cinq sets plus un bonus qui s’étend sur une semaine entière, bouleversant l’organisation du tournoi.

Premier set : Federer 6-2 en 54 minutes.

Il est 16h15 lorsque les deux joueurs terminent leur échauffement sur le court Philippe Chatrier. La pluie a retardé de plus d’une heure leur 5e finale parisienne. Avec de telles conditions climatiques, la lourdeur de la terre et de la balle, favorisent peut-être un rebond moins haut et un lift moins efficace pour Rafa, mais également des échanges plus longs, un problème pour le Suisse. Mais avec 8 titres à 1 et un avantage psychologique conséquent, Nadal devrait prendre rapidement les devants.

On observe les rituels des deux joueurs : à chaque retour de service, Rafa balaie sa ligne de fond de court, impose son rythme. C’est l’une des contradictions du jeu moderne : en raison de l’accélération des coups et d’une défense améliorée, les échanges se sont rallongés. Le plan séquence filmant le jeu s’étire et le temps pris entre les échanges (par Djokovic ou Nadal, par exemple) ralentit le jeu de manière paradoxale. Comme on connaît déjà ces premières séquences, les paupières se ferment de temps à autre, et on imagine entre deux clignements d’yeux que la télévision montre le tennis autrement sur ce match, à la fois exceptionnel et classique. Rapidement, l’attention se reporte sur les deux joueurs, tant une rencontre Federer-Nadal ne saurait, plus que toute autre, être filmée en champ-contrechamp, par Howard Hawks par exemple : non seulement les deux joueurs ne partent pas sur un pied d’égalité, mais à l’ère de l’uniformisation du jeu, ces deux-là sont encore ceux qui proposent le plus grand écart, au très haut niveau, entre les styles. Aucune identité possible, en effet : contre l’Espagnol, Federer a toujours essayé d’imposer sa vitesse et ses enchaînements au service sans jamais réellement y arriver.

En ce 8 juin 2014, un dimanche pluvieux, il y parvient pourtant assez rapidement. Un décalage de coup droit lui donne une première occasion de prendre d’emblée le service de Nadal, et un long échange conclu par une volée de revers croisée lui offre le break. Offensif, il rentre dans le court et conclut les échanges au filet. Double break Federer : 4-0.

A 4-1 en sa faveur, le Bâlois lâche un premier jeu de service, et le scénario du match se laisse deviner : la gamme de coups droits du gaucher espagnol, frappés sur le revers, à une hauteur d’épaule déraisonnable pour celui qui frappe à une main, va venir à bout de la patience adverse. Longtemps, on a caricaturé l’affaire - force brute espagnole contre pureté suisse, revers à deux mains contre prise à une main, coup droit lifté bouclé contre frappe à plat très tôt. Difficile pour Nadal de sortir d’un schéma qui a si bien marché par le passé. Mais Federer s’accroche et conclut la manche : 6-2.

Deuxième set : Nadal 6-1 en 28 minutes

Le premier “Vamos” hurlé par Rafa intervient ici à 3-0 après un jeu long de plus de 15 minutes, sur une énième accélération de coup droit. Malgré un dernier jeu de service où Federer enchaîne 3 aces, il s’avère impuissant à reprendre la main sur le jeu.

Troisième set Nadal 6-4 en 27 minutes

La pluie refait son apparition et interrompt le match à 2-2. L’averse ne dure qu’une dizaine de minutes et ne perturbe pas la marche en avant de Nadal. Les joueurs enchaînent les points rapidement, comme pour ne pas trop se faire de mal, en vieux copains respectueux de l’aura de l’un et l’autre. Quoi qu’on en dise, les deux champions, si différents à l’époque où leur rivalité était la plus intense, ont fini, comme un vieux couple, par se ressembler. Les deux jouent du fond du court et Nadal a gagné dans l’antre de Federer, à Wimbledon (2008 et 2010), cassant un peu plus la légende parfois trop parfaite du métronome suisse, qu’il a si souvent fait déjouer. Federer a lui aussi cassé l’enchaînement des victoires de l’espagnol sur terre battue en remportant le tournoi en 2009, sans toutefois battre Nadal, éliminé quelques tours plus tôt par le futur finaliste Robin Söderling.

Il est 18h15 au dernier changement de côté et Rafa conclut sur un jeu de service fébrile de Federer.

Quatrième set : Federer 7-6 (9) en 1h et 05 minutes

Bondissant de sa chaise à l’appel du juge arbitre, Rafa est déterminé à terminer au plus vite. D’emblée, il prend le service de Roger dès le deuxième jeu, et confirme son break. Dos à au mur, Federer se rue au filet, stratégie longtemps hésitante contre Rafa, tant la couverture et le coup d’oeil du Majorquin sont exceptionnels. Affronter Rafa, c’est faire face à un adversaire qui à la fois joue tout seul, donnant parfois l’impression de frapper contre un mur qui renverrait tout. La force de son jeu est également de se servir de chaque faiblesse adverse. Au scénario imaginaire se superpose enfin un film d’un genre nouveau, l’embryon d’une invention formelle : on ne voit plus qu’un champ sans contrechamp, un plan-séquence qui suit les frappes de Nadal. On assiste à une conversion du regard. Le réalisateur, qui a pour patronyme Godard, tantôt rend hommage à son homonyme, tantôt met de l’égalité là où il peut encore y en avoir. Ses plans sur Nadal contrebalancent la ferveur du public du court central, acquis à Federer. C’est encore trop faible : pas une de ses images ne conjure le sort de cette manche, Federer tient bon, et comme chez Hitchcock, la mise en scène sert le suspense alors que la fin, on le croit, est proche et certaine. Le problème n’est pas simple pour Federer : dans le jeu de fond de court, Rafa est plus fort à l’usure. Au filet, ses hésitations sont punies par des passings. Roger se trompe souvent lorsqu’il joue Rafa, qu’il regarde comme la Méduse, neutralisé par l’adversaire.

Lorsque Nadal sert pour le match à 5-4, Nelson prend le micro pour anticiper le succès espagnol, court interviewer Toni Nadal, le tonton-coach de Rafa. La foule, acquise à la cause du futur vaincu, ne murmure plus. L’impensable se produit alors, après une série de montées au filet : Federer recolle, sous les yeux de son nouveau mentor Edberg, le prince du service-volée de la fin des années 80. Le cadreur tente un zoom inédit sur l’ex-numéro 1 mondial suédois. Il se passe quelque chose sur le court et à l’image, et le tie-break remporté par Roger 9 points à 7 sur un dernier smash fait basculer le public du central dans l’euhphorie.

Cinquième set : 9 jeux partout

Nadal prend de plus en plus de temps pour effectuer sa mise en jeu. Etrangement, Carlos Bernardes, l’arbitre brésilien de la rencontre, lui donne son premier avertissement après plus de 3h de jeu. Plus le match avance, plus l’espagnol prend de temps entre les échanges. Pourtant, à 5 partout, le niveau de jeu paraît toujours aussi élevé, rappelant le match entre Isner et Mahut. En grands professionnels, ils avaient réussi à maintenir des standards élevés alors que le monde du sport avait les yeux braqués sur ce qui était devenu un évènement.

A 9 partout, Federer se plaint du manque de visibilité sur le central. En régie à la télévision, s’opèrent les ruses habituelles : la luminosité est bien moindre sur place que le rendu à l’image et chaque téléspectateur espère voir du tennis jusqu’aux dernières lueurs.

Comme en 2012, la finale reviendra lundi matin.

À suivre

par Thomas Fioretti, Aleksander Jousselin
mercredi 4 juin 2014