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71e Mostra internazionale d’arte cinematografica

#Jeudi 28 août / Vendredi 29 août

Heaven Knows What de Josh et Benny Safdie
5.4

She’s Funny That Way de Peter Bogdanovich
3.5

Reality de Quentin Dupieux
4.1

The Humbling de Barry Levinson
4.9

Je choisis l’Amérique

Venise est un festival à trous : dans les journées, dans les allées. A trous d’air aussi : la programmation est souvent plus intrigante, sinon plus enthousiasmante qu’à Cannes, parfois au risque de désorienter complètement. Il y a de la place pour s’y perdre, quand bien même tout est balisé, indiqué. Cette année, on parle dans les rues et devant les salles d’une sélection de haut niveau, des cinéastes un peu méprisés ailleurs (Seidl, Gordon Green, Levinson, Inarritu), très discrets sinon (Beauvois, les frères Safdie, Tsukamoto). Le choix est large, on peut attendre avec impatience le nouveau court-métrage de Manoel de Oliveira ou être intrigué par le film de Dupieux avec Chabat. Le soir de mon arrivée, le pouls du festival est faible, la tension au rabais, il faut déjà choisir, Seidl ou Safdie. Je choisis l’Amérique, des cinéastes qui excitent la curiosité par leur sobriété là où ce qu’ils représentent, la coolitude new-yorkaise, exige souvent un côté taciturne un peu feint ou une exubérance malvenue. Peu de monde en salle, moitié moins à la sortie, aucune réaction, comme si le film avait assommé les spectateurs. Venise est un festival avec du public, à la différence de Cannes qui n’accueille que presse et professionnels de l’industrie, peut-être aurait-il été plus intéressant d’attendre le lendemain, mais le mal est fait, et je me sens d’autant plus seul au moment d’y repenser.

Les frères Safdie ne sont pas les premiers à rêver une histoire d’amour en film catastrophe, presque tous les films de Dolan l’avaient fait avant eux. Ici, une jeune junkie à la rue se fait larguer par son copain, qui a le profil du parfait enfoiré. Drogué lui aussi, indifférent au sort de qui que ce soit, il aime à la faire souffrir et l’humilier. Le film n’est que la descente aux Enfers de ce couple qui, passé un prologue heureux de cinq minutes, n’en est déjà plus un.

Les Safdie n’ont jamais voulu transmettre à leurs films l’étiquette de hipsters new-yorkais qui leur collait à la peau. Pour eux, ce film d’amour catastrophe est une première, même si comme dans The Pleasure of Being Robbed, les héros sont des voleurs. Josh et Benny Safdie ne cherchent pas à semer le trouble dans les genres : loin du romantisme, le mec est un vrai con, la fille pas complètement l’inverse. Qu’en faire, c’est toujours ce qui a guidé les réalisateurs, ou plutôt : qu’est-il possible de faire ? Pouvons-nous le faire ? Si c’est possible, faisons-le ! Dans The Pleasure of Being Robbed, c’était un road-movie en lieu et place d’une comédie romantique. Ici, c’est la grandeur qu’ils sentent soudain accessible. Musique post-rock tonitruante, ralentis à tout-va, la gloire du milieu, les danses autour du feu filmées comme de grandes fêtes religieuses. Le film n’a pas plus de moyens que les précédents, mais il a sauté le pas, il est grand. Il a dépassé les bornes : tout ici a un prix, une rupture signifie coucher avec un autre pour ne pas passer une nouvelle nuit dans le froid, un lit chez une femme bienveillante se paie avec une longue dispute pour avoir sa dose.

Avant tout était gratuit, et plus encore, rien n’avait de prix, surtout ce qui était volé, mais désormais ce qu’on dérobe a un coût. Les Safdie ne savent pas faire de films chers, ils ont tort de croire qu’ils peuvent faire semblant. Heaven Knows What a ses bons moments, néanmoins : il est à son meilleur quand il fait un pas de côté, qu’il filme un garçon faire le paon devant l’héroïne, à rouler sur la roue arrière de sa moto. Cela ne coûte pas cher à faire, il suffit d’en voler une au coin de la rue.

Le lendemain, retour en arrière, un cinéaste à l’autre extrémité de la pyramide des âges, et la légèreté perdue par les jeunes compatriotes du réalisateur de She’s Funny That Way, la comédie de Peter Bogdanovich, rapidement étiquetée lubitschienne un peu partout. Le film évoque plutôt les derniers Woody Allen, mais c’est aussi flou que la référence à Lubitsch. Le nom de l’autre septuagénaire de la comédie américaine revient aussi chez tout le monde. Certes, il y a Owen Wilson, une histoire de prostitution comme dans Apprenti gigolo, où Woody Allen tient un rôle de mac, mais la piste la plus précise, c’est la série. On connaît le penchant des derniers Allen pour un mélange de sitcom et de telenovela. Peter Bogdanovich a lui joué dans une des meilleures séries des années 2000, Les Soprano, un psy qui soigne une autre psy, Jennifer Melfi. Le cinéaste semble s’accrocher à cette branche : il y a bien une psy névrosée qui parfois ressemble à Melfi, jouée ici par une autre Jennifer, Aniston. Allen comme Bogdanovich sont des cinéastes angoissés par l’idée de n’avoir peut-être rien transmis. Allen a certes inspiré partiellement des séries, justement, de Louie à Curb You Enthusiasm. Il ne reste à Bogdanovich qu’un film d’acteurs brillants (Wilson, Ifans), dont le dispositif et le scénario (une ex-prostituée devenue star de cinéma raconte son parcours lors d’un entretien cire-pompes) disent bien que le réalisateur se donne le rôle du parrain déchu qui donne sa bénédiction à des acteurs déjà chevronnés. On rit parfois autant que chez Lubitsch ou Allen, sans comprendre toujours ce qui épate autant la salle.

Réalité de Quentin Dupieux, même vu en compagnie d’un public religieusement silencieux, laisse de marbre, et n’arrache en outre pas un sourire à la salle. Alain Chabat joue un opérateur d’émission culinaire qui souhaite réaliser un revenge movie où les télés massacrent l’humanité et cherche un producteur, pendant que dans un autre film, une petite fille découvre une VHS dans les entrailles d’un sanglier tué par son père. La séquence d’ouverture est un remake décalé de celle de Man Hunt de Fritz Lang, Hitler étant remplacé par un sanglier. Un temps, on croit que cela va se prolonger : un secret caché dans une forme (Lang), un fond nouveau dans une forme ancienne (Fassbinder). Pourtant, très vite le secret se fait mise en abyme moqueuse, le secret est un film dans le film, qui à son tour a un secret, le réel dont il est extrait. Le serpent blagueur se mord rapidement la queue. Le problème de Dupieux est que ces films sont sans secret depuis longtemps (Rubber, sans doute), et les puits sans fond sont son fond de commerce. Dans Wrong Cops, c’était de la drogue à l’intérieur d’un rat mort, ici une vidéo avalée par un sanglier. La même absurdité est sans cesse rejouée, de même que l’écart France - USA, où le pôle français est incarné par Chabat, qui remplace poste pour poste Eric Judor.

La journée de vendredi se termine avec The Humbling de Barry Levinson. Un film sur l’apprentissage du retour à une vie “normale”, qui propose à son personnage de repartir de zéro et de tout recommencer. Il ne s’agit plus de jouer un rôle pour le héros, ancien acteur de théâtre qui s’est sabordé sur scène, mais de vivre sa vie. Il est presque paradoxal de donner le rôle à Al Pacino, tant l’acteur se confond avec le personnage, renommée oblige. Quand bien même il a tué en lui le comédien, le protagoniste joué par Pacino reste un acteur, à cause de cette indistinction. L’hypothèse la plus satisfaisante consiste à dire que vivre, c’est toujours et encore jouer. En poussant, on verrait dans ce retour à la vie un “born again” athée. Le film acquiert pourtant une belle fluidité à cause justement de cette persistance de l’être-acteur, pour qui finalement rien ne change. Il requiert aussi une bonne dose de croyance, pour se dire que cette première scène où Pacino répète son rôle face à un miroir, et qu’il arrive à faire passer pour son double, est la matrice de toutes les autres mutations que connaissent les personnages du film. Ainsi, en toute cohérence, le personnage transexuel pourrait n’être plus considéré que comme une femme grimée en homme à tel point que chacun se laisserait berner. Cette obsession de donner une vie biologique à ce qui n’est que du théâtre s’avère plus sympathique que le repli du film, dans sa seconde partie, sur les tourments intérieurs d’une ex-star qui finalement aimerait bien rejouer.

A suivre…

par Aleksander Jousselin
mardi 2 septembre 2014

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