34e Bergamo Film Meeting (5-13 mars 2016)

Bergame 2016

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Le prochain ciné-club aura lieu mardi 3 mai à 21h aux 3 Luxembourg à Paris : nous projetterons Adieu au langage de JLG en 2D.

“En chantant sur le mode mineur”

La capitale lombarde accueillait du 5 au 13 mars la 34ème édition du Bergamo Film Meeting, avec un ambitieux programme ouvert sur l’étranger. Entre la cité basse et la cité haute, projections et installations, éclectisme et spécialisation, entre porosité et hermétisme aussi, tous les films n’étant pas sous-titrés, le festival s’affirme comme une expérience dans laquelle on peut se perdre. Il implique d’aller de temps en temps prendre du recul dans les parcs herbeux de la cité haute, depuis lesquels on contemple la ville et les montagnes au loin.

Au programme figurait un hommage à Miklos Jancso, en écho à la rétrospective consacrée au cinéaste hongrois quelques mois plus tôt à la Cinémathèque française. A Bergame, un hommage entraîne l’autre, et celui consacré à Anna Karina était également une manière discrète d’honorer le critique Jean Douchet, comme d’excuser les cinéastes absents : Godard, mais aussi Rivette, Visconti et Fassbinder. Lors d’un échange public sous le chapiteau dressé le temps du festival, Jean Douchet a évoqué le parcours cinématographique de l’actrice à travers son parcours géographique, rappelant à quel point le Danemark avait été un grand pays de cinéma au début du siècle dernier, l’occasion aussi d’évoquer Dreyer et sa rencontre avec Anna Karina avant que celle-ci ne se rende en France pour y devenir une actrice d’envergure internationale.

Sous le chapiteau, rencontres et présentations de livres se succèdent en même temps que les projections, mais on en retiendra surtout les circonvolutions musicales de la langue italienne, seuls les intervenants étrangers faisant espérer une langue commune.
Si la cité haute et ses ruelles étroites ne se prêtent pas aux dispositifs de projections traditionnels, le festival a néanmoins su investir les différents espaces en friche de la ville, à l’instar de cette installation, Books on Shelves and Without Letters, présentée dans l’immense salle seulement meublée de poutres de la Porta Sant’Agostino, vieille de plus de quatre siècles. Sur un écran qu’un split screen changeant tord et segmente, des musiciens jouent devant des étagères qui ramenées à l’état d’arrière-plan visuel, affirment surtout l’ hermétisme de l’exercice.

La compétition internationale rassemblait sept long-métrages d’Europe centrale et de l’est, qui semblaient tourner pour la majorité d’entre eux autour de la misère, économique, sociale et affective du monde. Difficile de ne pas concéder la cohérence de cette sélection ; reste qu’en l’absence de thématique présidant à la programmation, on s’interroge devant des films étrangement convenus quant à leur propos et leur esthétique, montrant un état des choses immuable. Seule la récurrence de couleurs sombres et froides, presque métalliques dans les films polonais, et qui nous fait un temps rêver à un complot, une éventuelle mutation génétique affectant les chefs opérateurs locaux, suscitait vraiment l’intérêt. A travers quelques films se dessinait aussi une préoccupation plus générale pour les espaces intermédiaires, ou plutôt les lieux temporaires. L’Enclave se déroule par exemple autour d’un petit village du nord du Kosovo où un enfant serbe, se rendant quotidiennement à l’école en véhicule blindé, se voit confronté à la violence d’un conflit qui peu à peu les rattrape, lui et les jeunes kosovars de langue albanaise du village. Le film, fait de contretemps physiques, sentimentaux et idéologiques aussi, peut rappeler Kiarostami, même s’il peine à travailler ces contretemps en profondeur. On aura quand même apprécié cet instant curieux où le réalisateur, s’adressant à une salle à moitié vide, expliquera que la salle de la projection d’avant était pleine ; comme quoi on a sûrement manqué quelque chose. Qu’il se rassure quant aux déséquilibres physiques affectant la masse du public, dans son film au message de paix conventionnel, rien ne se perd, rien ne se crée.

La section “Close Up”, associant des films courts aux longs-métrages de la compétition, est plus marquante, hétéroclite et bigarrée. On passera sur un documentaire de famille français, La chambre bleue (lire ICI), qui fait surtout étalage de ce que la position de réalisateur peut comporter de vain et d’arrogant quand le film, auto-commenté, harcèle ses personnages pour les confronter à un dispositif auquel ils résistent (un repas de famille pour commémorer le décès du père, des années auparavant). La résistance devient alors l’argument du film, que le réalisateur, lui-même présent à l’image, pousse encore et encore, il y aurait là comme une pornographie de la morale et de la lucidité, sans autre raison que celle du film, qui se retourne alors sur lui-même comme pour constater son absence de fondement ; le film est décidément sans aspérités.

On remerciera Monika Pawluczuk pour End of the World, qui trouve le ton juste entre son intention documentaire et ses choix de mise en scène. La ville de Lodz en Pologne est plongée dans la nuit du 20 décembre 2012, et la prophétie maya se fait de plus en plus présente dans les esprits. L’animateur d’une émission radio nocturne reçoit les appels des habitants qui, un à un, donnent leur idée de ce qu’est la fin du monde : la solitude, une maladie incurable... Ces longues conversations, limitées au studio d’enregistrement et au visage du speaker qui accueille les stigmates de la fatigue et une certaine lourdeur au fur et à mesure de l’avancée de la nuit, s’entrecroisent avec le standard téléphonique des urgences hospitalières. Ici encore, c’est principalement le visage de l’opérateur qui polarise l’intérêt de la cinéaste. Aux mots échangés à la radio se superposent les appels au secours, le détail des procédures d’urgence, la colère et les conversations heurtées, la fatigue encore. Nous suivons en outre par intermittence un taxi connectant des rues anonymes plongées dans l’obscurité, comme une cartographie du repli et de la solitude des villes, où les réseaux de communication se font le tissu bienveillant accueillant les angoisses de chacun.

C’est ainsi l’éclectisme (citons la nuit Tarantino, qui associait un concert reprenant ses B.O. et un programme de films de genre) et, pour nous, une forme d’aléatoire (les sous-titres, tour à tour fantômes, tour à tour surgissant comme un caméo bienvenu selon les programmes de projection) qui aura présidé à cette édition du festival de Bergame, dont l’amplitude et la richesse réserve un peu de tout au non-initié. Quant à l’autre, il est peut-être là-haut, dans un parc de la cité haute où trône un char solitaire, rêvant de sa prochaine polenta e osei.

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par Hugo Paradis
lundi 25 avril 2016

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