Remade man

Tu filmeras la parole comme une action, et l’action comme une parole. Tarantino est Dieu unique d’Hollywood, mais Gondry n’est peut-être pas son meilleur prophète.

Rembobinons. Nous sommes en 1936, George W. Trendle donne une suite à The Lone Ranger, son premier feuilleton radiophonique. Il s’agit de The Green Hornet. L’idée est déjà de se renouveler en opposant à la solitude du premier héros un duo de justiciers. Avançons. 1963, Naissance de Quentin Tarantino (en mars) et Michel Gondry (en mai). Ils ont trois ans quand la tv diffuse Batman, série en collants adaptée d’un autre héros inventé dans les années 30. Le narrateur de cette série, William Dozier, a créé une sorte de contre-Batman, qui passe sur une autre chaîne. Nous ne zappons pas. Le Frelon Vert n’ira jamais au-delà de la première saison. Forward, 1978 : Bruce Lee meurt au sommet de sa gloire. Fast Forward. 2004, Kill Bill Vol.1, où Tarantino rend hommage, entre autres, à la série de Dozier. Fin de la cassette. Nous revoilà en 2011, The Green Hornet est à nouveau sur les écrans. Toujours pas loin de Tarantino à qui le film emprunte Christopher Waltz (nazi polyglotte d’Inglourious Basterds), et toujours pas loin des films de justiciers masqués, puisque la concurrence est toujours rude dans ce domaine. Gondry avait toujours semblé être un réalisateur à part, n’aimant rien tant que sa solitude, moins sidekick qu’outsider. Un Lone Ranger. Le plus souvent, il planche d’ailleurs sur l’effacement : celui des souvenirs, celui des films, des rêves. Comment se les remémorer ? The Green Hornet est ainsi l’histoire de son effacement devant un duo de mastodontes US : la comédie américaine et le film de superhéros. Comment se souvenir de Gondry dans les studios Sony de Culver City ? La réponse tarde à venir. Seth Rogen est là pour occuper l’attente.

C’est grâce à lui que le dernier Gondry tire son épingle du jeu. Autour de héros qui ne sont plus ni amazing, ni incredibles, les règles sont transgressées en permanence et par tout le monde. La cible de l’honnête homme étant en mouvement permanent, les chances sont égales de bien faire en suivant le chemin le plus sûr qu’en faisant n’importe quoi. L’immaturité chronique des personnages de Rogen se fait ingénuité et finalement lucidité. Ainsi, sa première réaction de sauveur est purement narcissique : « It’s unbelievable how cool we are ! » Caché derrière un masque, un nom, et un karatéka, Britt Reid a vaincu. Une troupe de gangsters, sa propre trouille, sa vie de looser. Son narcissisme serait sans intérêt s’il ne masquait pas un problème : plus encore que ses semblables héroïques, Le Frelon Vert ne serait parvenu à rien sans son sidekick. Mi-spectateur, mi-acteur de sa victoire, qui ne lui revient pas vraiment, il lui faut la partager. De l’avantage et de l’inconvénient d’oeuvrer en duo. Britt Reid n’est winner que le jour – patron de la maison, directeur du journal –, il est looser la nuit – incapable de se battre. Pour son valet, Kato, c’est l’inverse. On était habitués aux héros winners, stars - Spiderman, Iron Man, Superman -, ou loosers, hors-la-loi : Batman, Kick Ass, Watchmen. Le problème de Britt Reid, c’est qu’il a vu tous ces films. Il veut ne faire partie que des premiers, mais peine à compter parmi les seconds. Comme le Gondry de Soyez Sympa Rembobinez, comme le Rogen d’En Cloque Mode d’Emploi, il est un spectateur avant tout. Être acteur, porter soi-même un film, leur est second. Malin, The Green Hornet fait son argument principal de ce thème involontairement offert par le matériau d’origine : la star n’en était pas le héros, mais l’acolyte, joué par Bruce Lee. Dans cette nouvelle adaptation, l’ingratitude du personnage de Seth Rogen fait des merveilles. Qui a eu l’idée du nom, « the green hornet » ? Qui s’est occupé du hardware, qui du software ? Ces questions donnent à The Green Hornet un air inattendu de variation bouffonne sur l’autre histoire de frères ennemis sortie récemment, The Social Network – dont on ne savait pas non plus s’il fallait en attribuer la réussite à son scénariste ou à son réalisateur.

The Green Hornet est aussi l’histoire d’un réalisateur inventif aux côtés de collaborateurs souvent plus connus que lui : le scénariste à oscars Charlie Kaufman, mais aussi les comiques Jim Carrey, Alain Chabat, Jack Black et, aujourd’hui, le nouveau héros de la comédie américaine : Judd Apatow. Pas nommément, mais à travers ses habituels sidekicks, scénaristes de ce Frelon Vert, soient Evan Goldberg (déjà scénariste de SuperGrave, Délire Express, Funny People) et Seth Rogen (acteur d’En Cloque Mode d’Emploi, Délire Express, Funny People), sans oublier James Franco, mascotte de la bande, qui a droit à son caméo lors de la séquence d’ouverture présentant le futur adversaire. Ce qui suit s’avère être un excellent Seth Rogen et un Michel Gondry frustrant. Ceux que le style du clippeur français avait séduits ne pourront être que déçus par sa discrétion polie. The Green Hornet est ce film dont le scénariste joue son propre rôle, à peu de chose près, dictant ses idées sur son personnage masqué à tout le monde. Gondry s’identifie clairement plus au personnage de Kato, le valet. C’est-à-dire celui qui aurait dû avoir la vedette, la série étant devenue célèbre grâce à lui, si le scénario de Rogen n’avait pas fait en sorte de remettre la lumière sur le héros. On s’attend à voir un film dont la star sera le réalisateur. Et puis non. Si le tandem partage un même humour fondé sur les relations compliquées avec les filles (Cameron Diaz, pas encore remise des avances de Tom Cruise, est une mine de gags), l’acteur d’Apatow joue son rôle habituel tandis que c’est Jay Chou qui représente Gondry. Machine à café compliquée, voiture à missiles-juke-box, morceau de piano à trois mains improvisé : le bricoleur, c’est le valet. Il s’en sort cependant mieux que Michel. Dès le début de ses aventures avec le Frelon Vert, Kato sait se montrer indispensable. Or pendant longtemps, Gondry pourrait être n’importe qui.

La Gondry-touch serait plutôt là, dans cet aller-retour du looser au winner, sa présence à la limite de l’effacement. C’est en perdant sa griffe qu’il gagne le film de super-justicier hollywoodien, affiché à travers James Newton Howard, l’un des compositeurs de Batman Begins et de Dark Knight, et Vic Armstrong, cascadeur des premiers Indiana Jones, chargé des courses-poursuites automobiles et des combats à mains nues. S’y confrontent Seth Rogen, au style plutôt lourd, tout en mandales, d’un Harrison Ford, et Jay Chou, plus proche des virevoltes et de l’improvisation avec le décor d’un Jackie Chan. Comment ce grand luxe s’accomode-t-il de l’amateurisme assumé de Gondry ? Quelqu’un a dit un jour (c’était dans la Revue, mais je ne me souviens pas quel était le journaliste) que les français à Hollywood avaient tous le même comportement, celui d’un gamin qui casse ses jouets. On pensait alors à Matthieu Kassovitz, Jean-Pierre Jeunet, Pitof... Le premier plan de Green Hornet représente un jouet. Un superman de plastique qui ne vole que parce qu’on le tient à l’extérieur d’une voiture en marche. S’agirait-il du premier film de superhéros fait main ? On s’attend alors à ce que, comme dans Max et les Maximonstres ou Fantastic Mister Fox, les personnages ne soient que les figurines tenues par un enfant en train d’inventer l’histoire. Les bétonneuses du guet-apens dans la décharge ressemblent à des jouets grandeur nature, en effet. Pourtant, toujours dans le prologue, le père du gosse (Sam Wilkinson, père oscillant d’un côté à l’autre de la Force, d’Eternal Sunshine à Batman Begins) s’empare du jouet, et le casse. Un Français à Hollywood, alors ? Oui et non : ici, le jouet n’est pas cassé par l’enfant qui le possède, il l’est par le père, big daddy américain, qui accepte de prêter les siens - ses voitures, son journal... Tout au long du film, il tient les rênes, même après sa mort, et en dépit d’une tentative de vengeance qui consiste à en décapiter la statue, châtiment infligé au jouet dans le prologue. Réduit au silence, Gondry l’éternel enfant laisse parler Gondry le clippeur expérimental : le premier combat démultiplie et recolore les éléments de l’espace, tout en employant des ralentis extrêmes justifiés par la vivacité d’esprit du karatéka - vieux truc aperçu dans le premier Spiderman. Effacement devant le père, effacement devant ses pairs : The Green Hornet est surtout constitué de saynètes et de gags qui sont l’oeuvre du tandem Evan Goldberg/Seth Rogen, plutôt que Seth Rogen/Michel Gondry. Comme si le Frelon Vert du film préférait faire équipe avec la jolie Cameron Diaz, le “cerveau” de l’équipe, plutôt qu’avec Kato. Ce qui est en fait le cas. Étrange honnêteté masochiste que celle qui consiste à raconter dans un film pourquoi on n’est pas parvenu à le réussir.

Michel Gondry c’est l’effacement ; c’est aussi la réécriture in extremis. La « dispute » avec Rogen se règle à la fin, en même temps que celle qui oppose les personnages. Le film prend alors une nouvelle direction, et The Green Hornet de l’emporter là où Kick Ass baissait les bras, finissant en une apothéose cartoonesque que la première partie ne laissait pas présager. Au moment où Rogen aurait pu faiblir, Gondry prend la relève : Christopher Waltz enfile effectivement le ridicule costume rouge de Bloodnofsky ; au lieu de disparaître, comme dans Kick Ass, le père retrouve sa tête ; et le régime visuel change, comme si le film de super-justicier version comédie Apatow ne pouvait que se métamorphoser en film de super-justicier version Gondry. Triomphe des trucs de cinéma les plus simples : c’est dans le dernier tiers que se concentrent l’époustouflante séquence du split-screen en 3D, dans laquelle des dizaines d’écrans se mettent à flotter à différentes distances du spectateur, l’illustration de la réflexion pataude de Britt Reid via de simples couper/coller d’images/souvenirs, le joyeux carnage de bureaux par une voiture lors duquel Gondry démontre un vrai talent - qui n’est pas sans rappeler le Ivan Reitman de SOS Fantômes, référence principale de Soyez Sympas Rembobinez - ou encore l’idée de la voiture virant du blanc au noir en passant par une colorisation volontairement cheap, à l’opposé du coup de pinceau numérique. Jusqu’au générique, version 3D animée de l’affiche de Dave Chappelle’s Block Party, documentaire de Gondry sorti en 2006. Autant de jeux d’enfant qui tiennent la bride haute aux grands spectacles, et font regretter qu’on ne leur ait pas fait confiance plus tôt.

par Camille Brunel
jeudi 20 janvier 2011

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