Noeuds, papillons

Contemporain de Detective Dee et Scream 4, Les Nuits Rouges du Bourreau de Jade est la synthèse parfaite de Tsui Hark et Wes Craven, la porte ouverte sur un monde où les sortilèges médiévaux chinois ont rejoint l’ère de Freddy Krueger et des téléphones portables.

Les Nuits Rouges est l’entrée d’un cinéclub SM. Rien n’y est plus beau que l’écoulement carmin qui apparaît sur le ventre d’une victime emprisonnée par un voile de latex, ou que le raccord de cette flaque avec les idéogrammes écarlates du titre. Moyennant deux scènes d’éclatement dentaire et d’ouverture plantaire, le spectateur reste confortablement installé dans son siège, convaincu de l’artificialité des lourdes prothèses que porte une actrice passée par sept heures de maquillage, entre les mains des spécialistes d’Irréversible. Endormi partiellement, comme la victime ligotée qui ne commande plus à ses membres, il reçoit encore les influx électriques de ses nerfs à vif et de ses yeux écarquillés devant des scènes rendues irréalistes à force d’hyperréalisme. On trouve bien un certain goût pour le gore qui pourrait répugner, mais celui-ci ne compte pas autant que sa mise à distance ; Les Nuits Rouges évite ainsi de n’être qu’un énième torture-porn. Dans un court-métrage intitulé Betrayal, les réalisateurs prouvaient déjà leur goût pour le montage parallèle, faisant alterner un documentaire sur les crocodiles avec des négociations dans un bar.

Le contrepoint poétique des Nuits Rouges est constitué de deux acteurs d’opéra chinois chantant devant une toile tissée d’or l’histoire du premier bourreau de l’Empereur, inventeur d’un élixir capable de décupler douleur et plaisir. Hong-Kong n’est qu’un rideau de tours tendu derrière Carrie Ng, à la fois incarnation d’un certain cinéma de genre et réincarnation féminine du premier bourreau ; la ville ne constitue que la toile de fond au petit théâtre de ses douleurs. A la légende se substituent des gros plans qui fétichisent – main agonisante grattant un tatami, pieds qui se contractent, chaussures abandonnées, papillons… - et l’attention portée aux sensations : les gémissements d’une victime, le déchirement de ses collants, tout est méticuleusement composé selon une volonté de signifier qu’ici ce n’est pas la douleur qui compte, mais une forme de sensualité douce. La longue scène de torture aboutit à un baiser extraordinaire. A l’heure où le premier porno en 3D cartonne à Hong Kong, Courtiaud et Carbon ne sont pas tant les admirateurs du cinéma de leurs maîtres ou maîtresses que les conservateurs d’un fragile érotisme. La potion est une drogue qui oblige à imaginer, importe un peu d’Eros dans un monde où la pornographie est ramenée à une scène de pizza humaine, et Les Nuits Rouges tire une rêverie d’un scénario de cauchemar.

par Camille Brunel
mercredi 27 avril 2011

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