66 mostra internazionale d’arte cinematografica

M comme Milkyway

Après le beau Vengeance présenté à Cannes, la société de Johnnie To livre le meilleur film vu jusqu’ici à la 66e Mostra. Ce n’est pas To qui réalise mais Soi Cheang, jeune cinéaste moins lyrique, plus âpre. Moins marqué par l’influence de Sergio Leone, comme on en pouvait s’en rendre compte avec son précédent film, Dog Bite Dog.

Il y a bien sûr une connivence avec les films de To, ce découpage qui ramasse une multitude de signes pour construire une action millimétrée. C’est la touche Milkyway : d’un cinéaste a l’autre, la matrice est la même. Une autre signature, c’est une variation. Si l’histoire du nouveau film de Soi Cheang est encore celle d’une bande de criminels, difficile de trouver cette fois une quelconque prise de l’influence du western. Car l’originalité d’Accident est de faire l’économie du moindre coup de feu, un peu comme le premier Election se donnait des armes blanches comme contraintes. Le gang est ici plus sioux et procède uniquement par mise en scène d’accidents, sur commande. Beau pari, l’idée qu’un film mafieux peut se passer d’armes, opérer strictement par l’art de la mise en scène. Tous les moyens sont bons pour donner l’illusion de l’accident par l’optimisation des éléments du décor, qui sont partie prenante des meurtres. Un bouchon d’alarme incendie remplace une balle de 9mm. Des repérages aux aléas du tournage (contraintes météo, il faut attendre la pluie pour lancer une des machinations), le parallèle avec la création d’un film est souligné.

On peut y voir une métaphore du fonctionnement de la Milkyway, studio de cinéma petit et puissant dont chacun est l’ouvrier qualifié, réalisateurs, acteurs, scénaristes participant de film en film à peaufiner leur art et leur singularité. Si plusieurs des grands films de To se distinguent pour leur virtuosité, exemplairement Breaking News et son plan-séquence d’ouverture, le style Milkyway semble aujourd’hui s’affiner. Vengeance et Accident fonctionnent sur le même principe : un motif de départ (Johnny Halliday venge sa fille Sylvie Testud ; un gang prospère en fabriquant des accidents pour divers clients) est parasité par une déficience du héros. Piège mental qui prend le film de vitesse et le fait courir en sens inverse. Halliday perd la mémoire. Louis Koo fait basculer le film dans le thriller paranoïaque. Un soir de mission, son partenaire est renversé par un bus. Il imagine que la machination se retourne contre eux. Pas pour rien que le personnage s’appelle The Brain : le cérébral prend le pas dans les deux dernières productions To, comme une toile d’araignée de Cronenberg qui tend un piège au récit. Plus tout a fait des films de bande ou chacun des gangsters a le premier rôle, pas des films psychologiques non plus. Quelque part entre les deux, ces films mettent le travail collectif à l’épreuve du dérèglement d’un de ses éléments.

Soupçonnant sa petite amie elle-même membre du gang, The Brain va jusqu’à la tuer. La généralisation du soupçon dans la deuxième partie, avec matériel d’écoute et filatures, c’est l’adoption d’un nouveau système de références : De Palma, Coppola, le thriller du Nouvel Hollywood. Le vidant de ses enjeux politiques, les cinéastes Milkyway procèdent par abstraction, selon leur approche mathématique du cinéma. Ici le complot politique façon Conversation secrète est ramené à deux valeurs, l’individuel et le collectif.

Le collectif fonctionne comme une unité toujours menacée, un rempart fragile contre les faiblesses de chacun. Le seul moyen d’y parer est la vitesse, accomplir le plus de choses tant qu’on en est capable. C’est un peu la formule de Milkyway qui aligne un nombre affolant de productions et semble aujourd’hui se tenir a son plus haut plus haut point d’équilibre. Répartition parfaite des rôles en interne. Extérieurement, la réussite sur tous les plans : empire commercial qui s’est imposé alors que le cinéma hongkongais perdait de la vitesse, présence et reconnaissance festivalières via Toronto, Venise, Cannes et Berlin. Tout ceci se traduit en des films élégants a la fois urgents et nerveux, amples et minimaux. A l’instar des tueurs d’Accident, l’alchimie semble trop harmonieuse, elle pourrait ne pas durer. Profitons-en au meilleur de son souffle.

par Olivier Waqué
lundi 7 septembre 2009

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