Masse neutre

Voilà un échec intéressant. Tout commence par la fin : un cadre d’une grande banque française se rend au travail où il tue deux de ses supérieurs. La précision fait songer à Elephant, où la violence de la tuerie fuyait toute tentative d’explication. Ensuite, cette sécheresse inaugurale laisse place à des généralités sociologiques, un puzzle recomposant le parcours d’un homme jusqu’au geste fatal. Paul Wertret (Jean-Pierre Daroussin) aime son métier. Il pense être un bon élément de l’entreprise jusqu’à ce que le monde de la finance devienne fou. Après le passage de la crise financière, ses patrons lui mettent la pression, et la machine libérale dérange sa routine. Peu à peu, son quotidien au travail se dégrade, ainsi que que sa vie privée. Dîner chez des amis l’ennuie. Il se confie de moins en moins à sa femme. Rappeler un vieux copain perdu de vue depuis 25 ans ne le soulage pas. Il s’installe sur le divan du psy.

De son bureau où il est enfermé, Paul Wertret se demande « comment tout ça a dérapé ». Le montage veut briser l’élan linéaire de la déchéance en produisant d’étranges effets d’aplats. Le problème vient peut être également de la manière dont on regarde cet homme. Paul est davantage poussé à bout par la fatalité que par un esprit de révolte. Moutout filme plusieurs fois la nudité épaisse de Daroussin, masse écroulée un soir sur le carrelage du salon sous le poids d’une vie devenue soudain trop lourde. Il se tient pourtant à l’écart, extérieur à ce corps, filmant la chair d’un personnage ni ni, à cheval entre cinéma du milieu et coquetteries d’auteur. Un travelling final observe le choc de sa mort recueillant les réactions des visages mutiques des membres d’un conseil d’administration. Difficile de s’accrocher à ce discours résigné lorsque rien ou presque ne peut nous faire aimer d’avantage le personnage. Ni lâche, ni courageux, ni héros, ni anti-héros.

Le cinéma français s’attache souvent à l’idée sociale de l’homme juste qui n’en finit plus de tomber. Ici, le contrechamp intime est convenu : de disputes conjugales en crises adolescentes, – programme familial vu et revu (palme du ridicule pour les relations père-fils). Moutout est plus à son aise dans la description des rapports masculins dans l’entreprise. C’était déjà le meilleur de Violence des échanges en milieu tempéré (2004), où un jeune cadre avait pour mission un audit en province pour la filiale d’un grand groupe. Peu à peu, son patron lui annonce qu’il doit participer à un plan de licenciement. D’abord dévoré par les remords, il accepte de renoncer à son idéalisme pour rentrer dans le moule des salopards. Ici, Daroussin se révolte, mais l’issue est la même : il n’y a pas de place pour l’individu dans le système. Dans la machine Moutout, le salarié est irrémédiablement broyé par la mécanique des rapports de travail. Le discours est moins naïf qu’implacable. C’est la limite d’un cinéma froid et neutre, trop complexe pour être académique, pas assez radical pour être totalement souverain.

par Thomas Fioretti
lundi 10 octobre 2011

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