Satrapi poulain

Au travers des décors carton-pâte se dessine une histoire d’amour et d’art frustrée. Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric) est violoniste. Son épouse Faringuisse (Maria de Medeiros) est une professeur de mathématiques dont il n’est pas amoureux. Elle ne supporte plus les notes de son mari et préférerait qu’il s’occupe d’avantage de l’éducation de ses enfants que de son instrument. De fureur, elle brise le violon après une dispute. Ali part alors à la recherche d’un violon extraordinaire que lui vend le malicieux Houshang (Jamel Debouzze). Lorsqu’il rentre chez lui, la déception est immense : il ne retouve pas la beauté originelle de sa musique. Abattu, l’artiste s’enferme dans sa chambre en attendant la grande faucheuse Azraël (Edouard Baer). Mais le désespoir d’Ali est autant mélodique qu’amoureux. Sa mémoire nous replonge dans le souvenir de la belle Irâne (Golshifteh Farahan). Le père de la jeune fille, horloger, s’oppose à leur union. Rigueur mathématique, mécanique : la société de la raison n’accepte pas les artistes.

Persepolis (2007) habillait d’un roman dessiné une histoire réaliste, créant un écart étrange entre la douceur des images et le propos brut et autobiographique. L’échec de Poulet aux Prunes se présente de manière inverse. En un clin d’oeil le film peut sauter d’un mode de récit à l’autre, d’une image à une autre. Une scène décrit par exemple l’avenir du fils d’Ali Khan qui épouse une blonde et le mode de vie américain. On bascule du conte vers un style promotionnel, puis vers une mauvaise parodie de sitcom U.S. Une éventuelle satire viendrait elle évaporer les charmes de la féérie ? Les têtes occidentales des acteurs dans l’Iran monarchique voudrait-elle mettre à plat la distance entre Orient et Occident ? Et que viendrait faire le personnage d’Abdi (Eric Caravaca) ? Le militant communiste de la famille est congédié, une fois par la voix off, une autre fois par son frère qu’il essaie de raisonner pour éviter sa mort. Par ailleurs, le seul personnage oriental s’appelle Irâne (qui se prononce comme Iran en farsi) et sonne, selon l’aveu des auteurs, comme un rêve démocratique oriental évanoui et surrané. C’est un personnage symbolique, un peu comme la France du dernier Klapisch. Empruntant plus à la laideur des derniers films de Jeunet qu’au Cabinet du Docteur Caligari, Poulet aux Prunes est pourtant moins un conte qu’une tentative d’exploration mercantile des images, du décor, et de la fabrique. Un art moins ancestral que les contes de Les Mille et Une Nuits, mais paradoxalement déjà trop vieux pour être naïf, et où l’imagerie publicitaire prendrait le dessus sur le poétique et politique. Reste alors à se laisser bercer par le montage et la narration, qui envahissent. « La fumée est la nourriture de l’âme » dit la grand mère Parvine (Isabella Rossellini) : nuages d’opium, cumulus magique au dessus d’une tombe, bouffées recrachés par Chiara Mastroianni autour d’une table de poker, ronds de fumée de cigarettes expulsés par Mathieu Amalric. Esthétique plaisante, d’une vignette à l’autre, constituée moins de classiques raccords que d’une image cachée sous le voile d’une épaisse fumée magique.

par Thomas Fioretti
vendredi 28 octobre 2011

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