Pas de panique !

Il y a quinze ans (Alerte, 1995) voire moins (24, saison 2, 2002), l’idée d’une épidémie mobilisait l’armée, ses tanks et ses hélicoptères ; elle suscitait l’effroi du monde entier, l’affolement des journaux télévisés internationaux ; on entendait la planète hurler de voir sa population décimée à grande vitesse, brisée par l’incursion de la maladie au foyer, et les films noyés sous des couches de cuivre inquiétantes. Aujourd’hui, une telle apocalypse devient un problème purement administratif. Contagion est un film calme, sans pic de tension ou d’émotion : voyez Gwyneth Paltrow mourir aux premières minutes du film sans tirer plus qu’une larme à son mari Matt Damon.

Le détachement total avec lequel Soderbergh traite son sujet peut agacer. Les 28 millions de morts dûs au virus inconnu sont filmés avec le même entrain que Sasha Grey habillée (The Girlfriend Experience, 2009). Tout est décrit intellectuellement, sans plaisir et sans peine. En lançant ses personnages dans une course contre le virus, montrant la lenteur de la réponse des instances sanitaires américaines à la propagation rapide du microbe, les étapes de l’enquête pour l’identifier et de la recherche médicale pour l’enrayer, Contagion multiplie les fausses pistes de justification de l’épidémie : l’infidélité conjugale d’abord, puis les dysfonctionnements du système dus à la cupidité ou au manque de communication. Ce n’est qu’au terme du film que le foyer de l’épidémie est raconté dans une séquence faste, presque drôle. Soderbergh est encore et toujours ce Danny Ocean capable de se tirer de tous les mauvais pas avec une aisance et un flegme absolus. Il dépose des scènes de suspense si parfaites – le trajet de la main de l’homme à qui le docteur Kate Winslet demande de descendre d’urgence d’un bus – qu’elles en deviennent vaines, sinon ennuyeuses. Une scène chasse l’autre comme un croupier ramasse et redistribue les jetons. Est-ce du détachement ou de l’apathie ?

Depuis le 11 septembre, la froideur administrative a remplacé les films d’union nationale : l’Amérique ne se montre presque plus dans l’état d’organiser la riposte, mais dans les difficultés d’appréhension d’une catastrophe, faute de l’avoir prévue ou d’y offrir un remède adéquat. Sautant sur plusieurs continents, Contagion ne montre pourtant guère plus que la lenteur avec laquelle la machine se met en place. Chaque rouage est un acteur célèbre. Comme dans Psychose, la surprise dévoilée dès les cinq premières minutes est que la célébrité ne garantit pas la longévité du rôle. Mais il faut des acteurs connus pour que chaque rouage devienne un point de vue emblématique. Plutôt que l’union nationale, Contagion postule plus sagement un émiettement d’où la cohésion ne sort qu’avec peine : depuis The Wire, il est impossible de traiter des problèmes politiques autrement. Ainsi, le personnage le plus important est sans doute celui, étrange, joué par Judd Law. Un blogueur pas forcément bon, malin ou altruiste, à qui huit puis douze millions de personnes prêtent une oreille attentive et qui, partant, dérobe l’audience des discours officiels. À travers ce personnage, Soderbergh se passionne pour son épidémie autant qu’un internaute qui la suivrait sur un blog bien fourni - le film appuie d’ailleurs avec insistance sur la présence d’écrans d’appareils photo et de caméras sur lesquels s’étalent aussi bien les alertes catastrophistes que les smileys adolescents.

Autant la platitude convenait au portrait du révolutionnaire Guevara (Che, 2008), allouant aux idées et aux actions armées la même importance dramaturgique, autant celle de Contagion tend à désamorcer l’exigence documentaire que Soderbergh se donne depuis quelques films. Tout se passe comme s’il n’y avait pas d’intermédiaire entre le microbe et l’administration qui tente de l’enrayer. Aucune incarnation mais une succession de cas à résoudre. Le film saute d’un niveau à l’autre : du foyer replié sur lui-même par la crainte de se voir contaminé aux gymnases où les malades vont s’entasser, du crâne dépioté de Gwyneth Paltrow aux visages d’enfants chinois menacés. Il n’oublie rien des conséquences anecdotiques ou lointaines de la catastrophe, sinon la terreur des corps que le microbe vient consumer. Contagion va jusqu’à oublier qu’il est un film catastrophe – toutes les raisons qui la provoquent ne laisse aucun loisir de construire le sentiment d’un drame. L’infidélité qui paraît au départ servir de justification morale au désastre est sagement renvoyée à son vrai statut collatéral. De fait, Contagion évite les écueils paranoïaques et spectaculaires du genre pour se concentrer entièrement sur les enjeux objectifs du problème – au point d’en oublier qu’il ne s’agit que de cinéma.

par Camille Brunel, Antoine Thirion
vendredi 11 novembre 2011

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