Rien n’est pardonné

Après avoir triomphé à Clermont-Ferrand, Ce qu’il restera de nous a eu le droit a une sortie en salle. Une salle. Il est au MK2 Beaubourg, va-t-il y rester ?

VM a dit qu’un des pièges consisterait à n’approcher Ce qu’il restera de nous que par son versant théâtral. Drame viscéral, poussé par la performance d’acteurs de sa troupe, le film ne dévoile un visage en plan serré qu’au bout d’une demi heure sur une durée totale de 40 minutes. Leçon de montage héritée de Sergio Leone, où un paysage désolé se raccorde avec l’expression de tristesse ravagée de Laure (Laure Calamy) et celui-ci avec son collant déchiré. Magnifique séquence habillée par le physique, dénudée par la mise en scène. Dénoué notamment du côté autoritaire qu’elle aurait eu si elle avait été jouée sur un plateau de théâtre, c’est-à-dire devant un vrai public, où chaque parole ne va pas sans une prise de parole. Au théâtre, disait encore Macaigne, lorsqu’on parle, tout le monde écoute. Et si le public n’écoute pas, on peut baisser la voix, de manière à obtenir le silence. Ce rapport de domination n’a pas d’équivalent au cinéma, qui est certes moins autoritaire, mais qui pour cette raison même est plus agité. Il ne suffit pas que des comédiens hurlent ou qu’une mise en scène soit frontale pour que le cinéma puisse être comparé à un jeu de scène. Sur ce point, Bazin avait déjà tout dit, et Macaigne rend ainsi grâce à la maxime : « Au théâtre, le drame part de l’acteur. Au cinéma il va du décor à l’homme. » (1).

Il faut alors une douce violence. Celle de Ce qu’il restera de nous est une grâce et une brutalité qui, dans chaque plan, s’exaltent mutuellement au lieu de s’annuler. Sa violence surgit d’une force comique, mécanique d’un film enragé mais sans entêtement, qui se lie de bruit et fureur avec nous. Celui-ci semble fonctionner dans l’impossibilité des hommes d’être ensemble : Thibault (Thibault Lacroix) déclame son art de vivre à un ami qui ne comprend pas un mot de ce qu’il raconte – ce qui ne l’empêche pas de l’aimer et de le prendre dans ses bras. Puis ont lieu de houleuses retrouvailles entre lui et son frère Anthony (Anthony Paliotti), réveillant les rancoeurs de famille. Enfin, dans un dernier mouvement de colère, Anthony et Laure déchirent leur amour sur le trajet du retour. De fil en aiguille, la rage se déploie avec la mise en scène des corps dans la campagne. Le film associe le proche et le lointain, la furia comique et le drame. Comme si tout se jouait entre les non dits et les mots hurlés.

Une fois de plus, l’héritage sera notre sujet : un père est mort, une maison est vide, un fils timoré n’aura rien, un fils prodigue va hériter de tout. C’est le point de départ de Ce qu’il restera de nous. Mais c’est aussi tout ce que Macaigne retient de tous les récits du monde. De tous les héritages possibles (du cinéma), il ne prend pour son film que le canevas d’un scénario biblique mis en scène avec succès par Broadway et par Hollywood. Comme si celle de La Chatte sur un toit brûlant était la seule histoire que la tradition nous avait transmise.

Cela lui suffit largement. Ce qu’il restera de nous imagine un monde où des adultes n’ont pas quitté leurs corps d’adolescents. Anthony demande du temps à des possibles créanciers, puis se met à pleurer comme le ferait un gamin. Thibault, dont le corps semble réunir tous les âges, est resté au stade d’étudiant, à des rêves d’art et de révolte. Utopie fictionnelle ou jeu enfantin : il dit avoir des armes à feu, et se « prépare pour la grande fin ». Dans un geste punk, il a mis le feu à la Renault 5 que son père lui avait offerte pour son dix-huitième anniversaire. Manière de la détourner, comme Duchamp avant lui, de sa fonction première. Manière de réduire l’objet pour adultes par excellence à un jouet, et donc d’en faire le dispositif d’un rite de passage à l’envers.

Une utopie anarchiste et antisociale brille dans ce feu-là. L’enfance que Thibault n’a pas abandonné, contrairement à son frère, ancien élève d’H.E.C., actuellement stagiaire chez Loréal, est moins celle d’un homme que celle, prétendue, de l’humanité. Quand les pompiers embarquent son totem, il redessine à la craie la Renault 5 brûlée dans la cave, qu’il décore ainsi en grotte façon Herzog. Mais l’enfance est aussi autre chose. Intransigeance. Exigence. Radicalité. Dans l’art et dans l’amour. Thibault, âme d’artiste, ne peux pas supporter la laideur morale, spirituelle, esthétique. C’est un pur qui fait des ablutions doubles, comme pour se laver de la saleté du monde et se préparer ainsi à combattre son frère, pianiste surdoué qui a préféré s’enfermer dans les études plutôt que vivre sa vie quand lui, Thibault, sans réel talent, ne perd jamais de temps, s’emmurant dans le pavillon de son père mort sans avoir eu le temps de vieillir.

En route vers la France profonde, Macaigne retrouve le chemin de l’utopie où Alain Guiraudie est souvent passé. Au début, dans un bar, sans doute le même où l’avait laissé Guiraudie, on reconnaît Basile (Thomas Blanchard), déjà héros de Pas de Repos pour les Braves (2003). Il ouvre le film de Macaigne par la réplique suivante : « Y a que ce qu’on construit qui reste. Ce qu’il faut, c’est construire des choses qui restent. Faut rêver un peu plus. Pour être autre chose que ce qu’on est ». Recette que Thibault applique à l’envers : « La société t’a appris qu’une R5 c’était un véhicule, ben non c’est aussi une oeuvre d’art. » Autrement dit, il n’y a que ce qu’on détruit qui reste. Autrement dit, pour l’île du rêve prenez en direction du désespoir. Si vous en avez le courage.

Rien n’est pardonné chez Vincent Macaigne. Et pourtant, tout est raté. Son Thibault est certes un surhomme. Mais ce qui le rend attachant est qu’il porte le drapeau d’Edouard Limonov, le drapeau des ratés, enragés et pleins d’amour, ceux qui ont tout perdu, ceux qui viendront mettre le feu au monde et enfin éteindre la lumière, sans regret.

par Thomas Fioretti, Eugenio Renzi
jeudi 1er mars 2012

Accueil > actualités > Rien n’est pardonné
Tous droits reserves
Copyright