Extase de la photogénie

« Be careful not to get in too deep, son ». Le conseil avisé du vieux briscard Roger (Philip Jackson), rompu aux tournages et aux scandales, au jeune Colin Clark (Eddie Redmayne) compte double : ne plonge pas - ne couche pas avec Elle, ne cherche pas la réalité du personnage. La volonté de pas creuser le profond est la leçon retenue par ce faux biopic – assez anecdotique. L’étiquette de vacuité a poursuivi Norma Jean Baker toute sa vie durant. Paradoxe de cinéma : elle n’a qu’à apparaître à l’écran pour illuminer la scène et réussir ce qu’elle a pensé échouer tout au long de sa carrière. Le film oppose deux écoles : la rigueur du texte de Sir Laurence Olivier (Kenneth Brannagh), acteur dont la passion du jeu vient du théâtre ; et d’un autre côté la longue préparation à l’intériorité du personnage pour Monroe, sous l’emprise de Paula Strasberg et de la méthode Stanislavski. À cela, il faut ajouter les retards et les absences légendaires de la star sur le plateau. Marilyn fait enfler le nombre de prises par ses ratés. Au milieu d’une scène dont elle peine à trouver la réplique et la logique, Laurence Olivier, (réalisateur de son dernier film de cinéma), lui demande alors de jouer sur ses atouts. En somme d’être sexy, d’être Marilyn Monroe, le symbole de la féminité érotique (curieux choix que celui de Michelle Williams, très séduisante mais trop peu sexuée pour faire une grande Marilyn). Ailleurs, Marilyn ne peut que jouer avec son image : glamour devant les groupies affluant de toutes parts, traquée par les locaux lors d’une séance de shopping. Même dans l’intimité, les proches ne cèdent plus au numéro de la « pauvre petite fille perdue ».

« Should I be HER ? », demande Marilyn avant de faire valoir ses charmes en public. Moins qu’un film sur la vie et le phénomène Monroe, My Week With Marilyn révèle surtout une obsession de cinéma. Le film est assujetti au point de vue de Colin Clark, un jeune et riche héritier d’Oxford, qui tente sa chance dans l’industrie du film. D’abord comme stagiaire aux productions de Laurence Olivier, puis comme 3ème assistant sur le tournage du film Le Prince et La Danseuse (1957). Tout le début du film est un édifiant récit sur l’envers du décor et l’ascension d’un candide découvrant un monde nouveau. De larbin, il va rapidement passer au statut de coqueluche (séduisant la jolie costumière jouée par Emma Watson, et s’attirant la sympathie de la vieille actrice interprétée par Judi Dench). Jusqu’à la romance avec Marilyn -mais pas trop deep, donc- qui occupe le tiers le plus plaisant du film. Le récit de cette ascension nous amène vers autre chose : le vrai projet de Simon Curtis est purement photogénique. Comme si il était conscient de ne pas pouvoir faire incarner sous d’autres traits la célèbre actrice (les premières minutes d’apparitions de Williams sont terribles pour la crédibilité du projet, notamment la scène de danse qui ouvre le film), le réalisateur britannique préfère miser sur les clichés de l’usine à rêve – des répétitions des scènes de cinéma à la dilatation de la pose photographique, en passant par l’éternel envers du décor ; ici un ralenti s’attarde sur le joli minois de Michelle Williams avant de commencer une prise ; ailleurs, les flashes répétés crépitent en gros plan et s’arrêtent sur le visage et les clins d’oeil de la star, à la manière d’un film de Scorsese ; pure extase du public lors des séances de rushes à chaque moment où la star apparaît. Platement photographié, tout est crée pour imprimer la nostalgie d’un monde évanoui : lors d’une ultime séance de projection de rushes sur l’écran, Olivier, fasciné par le miracle Marilyn qu’il a pourtant détesté sur le plateau, se lance devant Colin en représentation shakespearienne : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil ». Soit moins le renouveau d’un âge d’or que le dernier souffle épais et rance de son crépuscule qui n’en finit pas : le meilleur est passé. Cinéma ripoliné, My Week With Marilyn n’a plus qu’à habiller les vieilles légendes. Le rêve de Colin Clark restera le plus beau souvenir de la vie du jeune homme, et Laurence Olivier reviendra à ses amours des planches. Pas besoin pour le film de continuer jusqu’à la fin du mythe : Le Prince et La Danseuse, comme celui-ci d’ailleurs, n’ajoutera rien de plus à la gloire déjà éternelle de la blonde.

par Thomas Fioretti
vendredi 13 avril 2012

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