Dedans et dehors

Ce qui frappe d’emblée dans L’Enfant d’en Haut, comme dans Home (2008) par ailleurs, est l’étrangeté de son cadre. Atypique, il s’agit ici d’un lieu à la fois géographiquement flou et sociologiquement précis : l’action se situe entre une station de ski et une cité en bas de la vallée. Dans cet écart entre le haut et le bas, le riche et le pauvre, se joue le destin du petit Simon (Kacey Mottet Kein). Débrouillard, il organise un trafic de matériel de ski volés aux touristes des sports d’hiver. L’imaginaire renvoyé par ce cadre est d’habitude un terrain plus propice à la grande consommation qu’au naturalisme (une veine comique fertile pour les gags de La Première Etoile ou des Bronzés). Dans ces deux espaces se dessine l’architecture de l’éternelle lutte entre les classes. Les films d’Ursula Meier ont effectivement un potentiel politique matiné de fable. Les personnages de Meier ne sont pas seulement en prise avec l’hostilité générale du monde et de ses épreuves, mais possèdent la particularité d’une appartenance double et fragile, à la fois intégrés à la société et à la marge de celle-ci. Insider et outsider, Simon doit sa présence en haut de la montagne grâce à son forfait acheté avec l’argent du matériel volé ; puis avec la complicité du cuistot anglais Mike (Martin Compston), avec qui il trouve un terrain d’entente d’escroquerie à la petite semaine.

Les passages décrivant les combines de l’enfant sont sans doute les moments les plus réussis. Simon gère un quotidien anarchique en ramenant quelques francs suisses au foyer : le gosse est l’homme de la maison. Le drame est esquissé par les va-et-vient entre les tours d’en bas, qui ressemblent à celles des banlieues, à l’ascension vers les sommets. Métaphore d’une certaine hauteur, on l’a dit, qui est la peinture d’une intégration périphérique. Soit plus ou moins ce que faisait déjà Home : une famille vivant au bord d’une route désaffectée voyait sa survie menacée par la réouverture d’un tronçon d’autoroute à grande fréquentation. Là encore, il s’agissait de raconter comment et en quoi une possibilité d’utopie pouvait résister au flux le plus sauvage et incessant. C’est ce que produit le mélange entre la fable sociale non réaliste et l’environnement écrasant de la société qui intéresse Ursula Meier : comme le défilement des moteurs à vive allure, les passages ininterrompus des touristes anonymes et fortunés est un autre symbole de la chaîne consumériste et aliénante du monde.

Mais le problème de L’Enfant d’en Haut réside ailleurs. Moins dans le concept d’un dispositif certes artificiel, que dans sa manière théorique d’incarner et d’organiser ses idées. Home dégageait au moins une force plastique et faisait de cette chimère de vie un procédé de résistance physique et humaine : en bétonnant les murs de sa maison, les parents (Olivier Gourmet et Isabelle Huppert) allaient jusqu’à se couper du monde en refusant son air et sa lumière même. Beauté d’un d’échec formalisé par l’anarchie des mouvements et des situations libres contre la certitude imposé par l’extérieur. Une énergie et une violence que peinent à atteindre L’Enfant d’en Haut, qui s’apparente plus à l’entêtement écrit et théorique de Gracieuse, l’amazone de Sport de Filles, qu’à la rage, littérale et beaucoup plus belle, du Gamin au Vélo ou du Silence de Lorna. En lisant le synopsis du film, on pense aux frères Dardenne. En regardant le film on y pense aussi, moins quand même. Pour le bien et pour le mal, les Dardenne sont une machine impeccable. Cela peut déplaire ou agacer, mais leur force consiste à encadrer la violence des rapports humains dans un regard qui ne fait, lui, aucune erreur, qui ne laisse passer aucun geste, aucune parole, qui voit et comprend tout. Ce regard, c’est ce qu’ils appellent cinéma. Dans L’Enfant d’en Haut, tout cela est bien présent mais au niveau du scénario. Ce n’est pas pareil.

L’aventure de Simon est rattrapée par la lisibilité des intentions, notamment dans le duo qu’il forme avec Louise, le personnage interprétée par Léa Seydoux. Leurs rapports contrariés, désordonnés et liés à l’argent, sont moins dérangeants que gênants. Simon redistribue son salaire à Louise, lorsque celle-ci sort et s’empêtre dans de sales histoires - portrait finalement banal d’une jeune fille paumée. Mais un élément de pur scénario (Louise est en réalité la mère et non la soeur de Simon) met en péril l’équilibre de l’entreprise. Une impasse qui se résume dans l’une des dernières images qui appuie lourdement la confrontation symbolique entre Simon et Louise. Lorsqu’ils se croisent dans le téléphérique, tous deux essaient de communiquer mais n’arrivent plus à se parler ; ils partagent la même vie, mais chacun enfermé dans sa propre bulle. Loin d’une libération, le revirement cloisonne chacun dans son espace, séparant les chemins lors de ce bancal point final.

par Thomas Fioretti
jeudi 26 avril 2012

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