Festival de Locarno 2012

Trois notes pour un beau film

1. À quoi pense un professeur de mathématiques à la retraite, veuf depuis dix ans, qui vit seul et travaille à un essai de métaphysique sans parvenir à le terminer ? Peut-être pense-t-il à Saint Paul, à Saint Marx et à Saint Freud. Ou bien à Emanuele Severino, qui a écrit que la philosophie n’est rien d’autre qu’une réponse donnée à la peur que le « devenir » suscite chez les hommes de tous les temps. Ou bien, il pense qu’une jeune fille – jolie, blonde, intrigante – est en train de se faire agresser sur le palier, qu’elle a besoin d’être sauvée, abritée, soignée.

Il le pense, il en fait un film. Et, dans ce film, il raconte que cette fille ne vient de nulle part. Qu’elle a besoin de lui tout comme il a besoin d’elle. Il raconte alors qu’elle devient sa complice dans ses recherches philosophiques et qu’ensemble ils terminent son manuscrit. Il imagine qu’elle lui pose des questions auxquelles il répond avec intelligence et précision. Et qu’elle écoute ses monologues en les ponctuant de réserves et d’objections.

2. Et nous, que pensons nous de tout cela ? Deux choses. La première est une fausse bonne piste que suggère l’ancien adage : tout film raconte l’histoire de sa fabrication. Souvent malgré lui. Parfois ouvertement, si possible avec un mélange d’indiscrétion et de pudeur – comme lorsqu’on parle d’un rêve. Celui de Werner Herzog et Klaus Kinski de pousser un bateau au sommet d’une montagne. Celui de Jean-Claude Brisseau et de Virginie Legeay de vivre et d’enregistrer l’invention de leur rencontre.

3. La seconde considération contredit la première. Il serait injuste et naïf d’attribuer la réussite de cette mise en scène de la vie à un principe purement mécanique. Quelque chose lui échappe. Le film, qui met tout en abîme, en parle à sa manière en incrustant un fantôme entre elle et lui. Fantôme qui, pour une fois, ne traverse pas le pont, mais est lui-même une passerelle entre le scepticisme ultra-rationaliste du professeur et le monde spirituel de la jeune fille. Pont, parce qu’il permet un échange partiel des rôles, lorsqu’elle guide l’autre dans l’univers du spiritisme, lorsqu’un esprit frappe le vieux professeur ; à elle cette fois-ci de courir à son secours.

Dans un film où tout à l’air de produire du sens, l’idée d’une maison hantée (réalisée avec des effets spéciaux à la Méliès) est folle et bienvenue. C’est l’endroit où le film résiste à l’interprétation qu’il veut donner de lui-même. Où la question de la relation entre un vieil homme et une jeune fille s’abrite et se perd, abandonne le terrain du bon sens et s’envole vers le terrain léger et émouvant de la pure fiction.

Tourné avec 70 000 euros (de Brisseau), La Fille de nulle part était annoncé comme « non achevé » (en effet, un travail de mixage reste à faire). Olivier Père l’a voulu en compétition. C’est le Pardo d’or 2012. Bien joué.

par Eugenio Renzi
vendredi 17 août 2012

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