Au calme

Ne vous fiez pas à ses bottes de cuir, son Stetson couleur corbeau et ses lunettes miroir : Joe (Mathew McConaughey) est un homme discret, modeste dans ses ambitions et simple dans ses manières. Au rendez-vous qu’on lui arrange avec la jeune Dottie (Juno Temple), il reconnaît n’avoir aucune anecdote à raconter pour engager la conversation et n’essaie pas de lui cacher les raisons de sa présence. Il n’embellit pas la situation mais s’oblige à l’envisager avec toute la sérénité qui lui est permise. De tous les personnages du drame, il est le plus droit, le moins ambigu. Son affaire même est régulière, à défaut d’être légale ou morale.

Gênant, Killer Joe ne l’est que dans la mesure où ce héros éponyme nous fait attendre puis apprécier sa venue. A l’agitation désordonnée de Chris et au train débonnaire de son père, Joe oppose dès leur première rencontre l’efficacité et le professionnalisme qu’implique son surnom. Il reprend et synthétise leurs propositions avec l’aplomb volontiers forcé dont Matthew McConaughey, depuis son apparition dans Eastbound and Down, est en passe de faire sa marque de fabrique. Lorsque les autres jouent fort, il surjoue, sans jamais craindre de faire un pas de plus vers la franche comédie. En suivant scrupuleusement sa partition, Joe désempare ses adversaires plus qu’il ne les effraie, et les met au défi de parler aussi ouvertement que lui. Tour à tour, chaque membre de la famille se voit obliger de répondre à l’alternative formulée par l’accoucheur dont il loue les services : entériner sa suggestion ou ne rien exiger. Le choix est évidemment faussé d’avance, mais Joe ne l’a pas truqué. Ce n’est pas le nouveau venu qui déclenche l’enchaînement meurtrier mais la résolution prise par ses commanditaires.

Aucune logique mécanique ne préside ici ; Killer Joe n’est pas un jeu de massacre, Friedkin n’est pas Tarantino. L’absence de garde-fou qui permet au fils, dès la deuxième séquence, d’évoquer avec son père le projet d’assassiner sa mère est trop inquiétante en soi pour que la suite développe une gradation dans l’horreur. Le tueur, que l’on ne verra jamais accomplir ses forfaits, ne vient que réaliser les menaces proférées comme des bravades sans conséquences. La dispersion affectée par la mise en scène dans les séquences où il n’intervient pas bute contre son numéro d’homme stable et pratique, loin des psychopathes en verve que le cinéma américain a l’habitude de laisser divaguer depuis vingt ans. Catalysant la violence dans l’air, son rôle est d’en soulager les autres personnages, d’organiser et ordonner selon son allure cadencée un récit progressant ailleurs par glissements et échappées. Ce n’est pas l’identification de la violence et de la distinction qui crée alors un malaise, mais la facilité avec laquelle s’impose un style qui ne veut plus emporter mais apaiser, pacifier à tout prix.

par Martial Pisani
vendredi 14 septembre 2012

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