Mon papa est là-haut

Lettre à Momo est peut-être un film pour enfants, mais il a surtout pour fonction de les réconforter dès lors qu’ils affrontent des problèmes d’adultes. Le film tient plutôt mal que bien sur ce fil : prétendre rendre aux enfants leurs rêves tout en fantasmant sur leur sentiment de culpabilité morbide.
Étrange moyen et curieuse mission, qui n’est pas sans embûches : l’héroïne Momo passera par des brimades, des pluies de coups, parce qu’elle n’arrive pas à résoudre un problème simple. Son père, mort subitement après s’être disputé avec elle, et qui ne lui a laissé qu’une lettre inachevée, lui envoie depuis les cieux trois yôkai, petites créatures issues de la culture animiste, dans un double objectif. Les yôkai, que Momo est seule à voir, doivent veiller à ce que la petite fille et sa mère se portent bien et rapporter au père une éventuelle lettre de son enfant.

Le premier plan montre des gouttes qui strient l’image, déchirent l’écran, vues de si près qu’on se croirait dans la scène d’ouverture d’un film expérimental. Au départ, la forme du secret est elle-même secrète, mais ça ne dure pas : les gouttes se transformeront en petites et étonnantes créatures, après qu’on les a suivies tout le long de leur trajet entre ciel et terre, sans trop savoir ce qu’elles représentent, ni ce que le dessin figure exactement.

Il n’est sans doute pas de plus beau secret que celui qui va jusqu’à cacher qu’il en est un, c’est-à-dire masquer la forme qu’il prend. C’était ce qui faisait l’intérêt de la première réalisation animée d’Okiura, Jin-Roh, mettant en scène un régime fasciste post-Hiroshima aux prises à des opposants de plus en plus déterminés : la complexité du scénario et le dessin des images d’archives fabriquées comme des images de fiction faisaient de l’existence même du secret – un complot politico-militaire – une forme de conspiration souterraine. Dans Lettre à Momo, les quelques audaces plastiques sont reléguées au troisième plan. Que le secret soit banal est une autre affaire : il prend des allures de vérité révélée, quand les yôkai sont démasqués. A l’intérêt mystérieux qu’éveille le film pour des images simples, quelques gouttes d’eau grossies à l’extrême, une chute vertigineuse depuis les cieux, le récit substitue une grotesque douceur, comme un calmant pour âmes tourmentées. Et plus c’est gros – le père est vraiment « là-haut » – plus ça passe. Comme un effet placebo.

La tension et l’inquiétude montent : soit cette forme énigmatique contamine la mise en scène du quotidien de Momo ; soit c’est une mise en scène sans relief qui élimine ce qui reste d’étrangeté. En fait, on perd tout intérêt pour l’intrigue et l’image, seule la résolution du dilemme compte désormais. C’est la remise en ordre qui l’emporte malheureusement, à tous les niveaux : la fille est pleinement coupable, et de notre ennui, et de celui des autres personnages. Elle sera punie par tous les autres de tout savoir et de ne rien en faire, tant et si bien qu’on ne peut qu’être gagné par l’agacement face à ses tergiversations. Elle hésite à écrire à son père alors qu’elle sait qu’elle peut lui faire parvenir rapidement une lettre pour régler ses problèmes de conscience. Lorsque la résolution arrive, on comprend le nœud du problème : Momo a hystérisé le moindre élément fantastique – durant tout le film, elle n’est que cris et effroi, hurlements et yeux écarquillés – quand à chaque fois ce n’était que le signe du miracle à venir, communiquer avec les morts. Nulle conspiration ici, seulement la réalisation du rêve d’une fille traitée comme une idiote.

par Aleksander Jousselin
samedi 5 octobre 2013

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