New York - Alaska

Directrice tyrannique d’une maison d’édition new-yorkaise, la canadienne Margaret Tate est menacée d’expulsion du territoire américain. Elle oblige alors Andrew, son « secrétaire-assistant en chef », à l’épouser bien qu’ils se détestent. Leur amour est vite mis en doute par la police : elle n’a pas d’autre choix que de prouver la véracité de cette relation en partant pour l’Alaska assister aux quatre-vingt dix ans de la grand-mère d’Andrew. Pitch peu crédible (on expulse peu des managers des États Unis), mais stimulant : la relation entre Margaret et Andrew se trouve au centre de préoccupations politiques centrales aux USA (le travail, la famille, l’immigration). Le comique du film repose sur le ressort classique mais solide du piégeur piégé : le couple doit mettre en scène un amour qu’il croit inexistant, multipliant ainsi les situations burlesques, sans apercevoir les sentiments qui grandissent entre eux. C’était déjà le jeu périlleux de Clodette Colbert et Clark Gable dans New-York Miami. Plus encore, le film cite Hawks, oscillant entre comédie du travail type His Girl Friday et aventure loufoque et sentimentale à la Bringing up Baby. Sans parvenir à transcender le genre de la comédie du remariage, Anne Fletcher tente de le moderniser.

Dans l’espace lisse, gris et vitrifié de l’entreprise, les gags classiques échouent volontairement. La chute des gobelets de café ne fait pas rire, on la sent venir. Ce genre de gags n’a peut-être plus sa place dans une société où une minute représente tant d’argent ; où avoir une tache de café sur son tuxedo, c’est devenir un paria. Le seul gag qui échappe à ce comique dépressif est une parade des employés contre ce capitalisme froid quand ils parviennent à transformer leur visibilité en pouvoir d’observation. Parqués derrière des parois de verre pour être surveillés, ils scrutent l’arrivée de leur chef, et, à son passage, s’envoient des mails pour avertir leurs collègues et feindre de travailler dur.

Le week-end en Alaska, à Sitka, projette Sandra Bullock dans une contrée lointaine qui joue le rôle du Connecticut dans les comédies de Hawks, lieu sauvage où, loin de l’agitation urbaine, les couples se reconnaissent. Margaret ne se balade plus dans des bois virtuels au guidon de son « vélo WiiFit », mais enfourche une vraie bicyclette pour s’éloigner le plus vite possible d’un regard amoureux échangé avec Andrew. Entrainée par ses sentiments, elle ne peut plus freiner. L’amour semble alors être le lieu de rétablissement de la domination de l’homme sur la femme, à laquelle échappait le film jusque là. Le premier baiser s’accompagne en effet de ce cri rageur d’un collègue d’Andrew « vas-y montre lui qui est le patron ! » La critique progressiste de l’entreprise échoue donc dans une romance rétrograde où l’homme retrouve le rôle du chef et où Margaret est placée dans une fausse alternative entre ultralibéralisme et droite traditionnelle : être une businesswoman célibataire qui joue à fond les règles capitalistes, ou l’amoureuse soumise qui trouve son maître dans les contrées lointaines de Sarah Palin. Son séjour dans le grand Nord la fait tomber amoureuse d’Andrew, mais aussi de sa famille. Familialisme qui conforterait l’univers droitier du film ? Pas vraiment. La famille tolérante qu’elle découvre en Alaska est un matriarcat sur lequel règne, du haut de ses quatre-vingt dix ans, Grandma Annie, campé par Betty White, sorte de Katherine Hepburn nonagénaire échappée d’une screwball comedy. Dans une grande scène comique, la grand-mère en costume indien traditionnel invoque en dansant les esprits pour les remercier du mariage de son petit-fils. Grammy est l’Alaska, terre matricielle faite de lacs et de clairières. Elle veut faire de Margaret l’héritière de ce matriarcat, et l’encourage à renouer le lien entre son corps et Mère Nature. Cette pente produit le meilleur gag : Margaret troque enfin ses talons aiguilles pour des baskets et se lance dans une scène de break dance et de rap – un classique de la nouvelle comédie américaine depuis Hitch et Serial Noceurs – qui la métamorphose pour un instant en une Ginger Rogers de l’ère hip-hop.

par Olivier Cheval
samedi 17 octobre 2009

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