Hara-Kiri

Jacky au royaume des filles n’est pas drôle. Ce n’est rien d’autre qu’une version « extrême » des Beaux gosses où une dictature remplace la prison émotionnelle du collège. D’un genre indéfini et contrairement au premier film de Sattouf, où les gags potaches des adolescents cachaient les dépressions à venir, l’angoisse d’être un raté, les occasions perdues, la déception de la vie, ce nouveau film n’est même pas une comédie déguisée. Jacky fonctionne à première vue comme une bouffonnerie avec Vincent Lacoste et Anthony Sonigo en hijab, dans une société où les hommes sont contraints à se parer du tissu religieusement connoté pour ne pas exciter les femmes. Le renversement des genres met en place une autorité féminine coincée entre la frustration de ne pas assouvir leurs désirs et la jouissance du pouvoir. Jacky est dans la continuité des obsédés du cul des Beaux Gosses : le film démarre par une scène de masturbation et la suite est un collage de métaphores toutes empruntées au registre du foutre. La « bouillie », le seul plat autorisé par le régime, rappelle la consistance du sperme. Une foule de garçons, en burka blanc forment une couvée de spermatozoïdes...

Bref, le puceau Vincent Lacoste est de retour. Uniforme et monocorde de bout en bout, hésitant entre la nullité et une rigueur honnête, Jacky reste très longtemps une mauvaise satire politique – cadre qui mélange un régime militaire (modèle nord-coréen) et religieux (modèle islamiste). On pourrait lui faire les mêmes reproches qu’à celles de Charlie Hebdo aujourd’hui : d’être tout sauf drôle. Jacky cède souvent à la facilité comme Charlie tire sur les ambulances : celle par exemple de l’ironie des images de propagande (Gainsbourg et Anémone triomphantes, armes à la main ; visite des dirigeants devant des villageois hystériques, etc), dont la portée est dissoute par le commentaire comique du journaliste admiratif. S’il finit de justesse à être plus fin, sans pour autant nous amuser, c’est qu’il opère un renversement absurde dans sa dernière scène : le peuple, qui soutenait jusque là Jacky avec des revendications progressistes, redevient réactionnaire, par la voix d’un manifestant, quand le mariage du héros avec la dictatrice révèle que la Colonelle est un homme et que le couple est homosexuel. Cette séquence déplace la nature de l’objet, de la satire au (petit) détournement (Hazanavicius n’est pas là par hasard, en oncle du protagoniste). Lacoste rêve pendant tout le film de devenir le “grand couillon”, équivalent masculin débile de la première dame. Une fois collé au pouvoir, il ne réalise pas le rêve de son oncle de changer de l’intérieur la dictature, mais renverse simplement les codes du régime sur la question du genre. Pourtant, le modèle d’images du pouvoir (qui le représentent mais que lui-même produit) que choisit Sattouf est en fait une critique exemplaire de ces images et de ce pouvoir, ce que le cinéaste ne voit pas. C’est la raison la plus probable de l’ajout du commentaire journalistique. Sattouf annule le comique par la chronique, encore un souvenir de ses strips pour Charlie.

Le détournement à la Sattouf fixe un cadre hors du temps. Les Beaux gosses était un film uchronique. Celui-ci impose un monde à la langue impossible, surfaite et sans grand intérêt tant son écart avec la nôtre est insignifiant : “blasphèmerie”, “poêterie”, “gouinerie”. Sattouf se plait à s’amuser encore et encore : déguiser les stars, dont Valéria Golino (après le faux porno avec elle dans Les Beaux Gosses, voici la fausse sitcom). Il échoue pourtant à construire un récit qui serait autre chose qu’une idée maline pour planche de bande dessinée et qui subvertirait l’impuissance des images, de la parodie convenue de la Corée du Nord au centre de commandes de série B, où Jacky affronte les forces du régime. De son premier à son second film, Sattouf a basculé du roman graphique vers la vignette. Le repli de la politique sur le genre est un symptôme de ce passage : la position d’outsiders des beaux gosses devient, l’âge aidant, une posture égalitariste, de celles qui relèvent du pouvoir et non du combat. Ce n’est que par une pirouette, en se mordant la queue, que Sattouf échappe par l’absurde au « bête et méchant ». Mais de mesure.

par Thomas Fioretti, Aleksander Jousselin
jeudi 6 février 2014

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