Naissance d’une série (à sa quatrième saison)

Un des plaisirs de la série est de devenir le spécialiste d’un monde qui s’est codé peu à peu devant vous, et qui nécessite, pour ceux qui n’ont pas encore mis le nez dans la pelote, de tirer des fils et de démêler des nœuds. Rien de neuf, juste une radicalisation de l’ampleur des vieilles sagas. Tentez l’expérience de raconter Grey’s Anatomy à votre voisin pour constater à quelle vitesse vous vous noyez dans les détails superflus. Pire encore si vous prenez la série en cours de route. À moins de commencer par un premier épisode : ils récapitulent généralement le système formel établi dans les saisons précédentes et lancent quelques pistes nouvelles. Par exemple Dexter, saison 4, épisode 1, diffusé le 27 septembre sur la chaîne américaine câblée Showtime, mais qui a déjà commencé à circuler vous savez où.

Pour faire court : Dexter a deux vies. L’une d’expert scientifique en analyse de sang, l’autre de tueur en série. Série oblige, ces deux vies, ces deux théâtres, ne font qu’une seule et même routine. Tandis que les meurtres sont l’occasion d’installer une scène éphémère (une table, du plastique pour éviter les projections de sang), le quotidien est un incessant jeu de masques. Scène et coulisses. Entre elles court off la petite voix de Michael C. Hall à l’écoute de ses pulsions, mêlant commentaires, sueurs, élucubrations personnelles, récits de famille, généralités sur la vie et la mort, la volonté de puissance, etc.

Trois saisons n’ont pas suffi à faire bouger cette structure d’un pouce et pour cause, elle fait tenir l’édifice. Les péripéties sont là pour le rappeler : ce qui ébranle l’édifice en garantit aussi la pérennité. La jouissance du personnage est la peur d’être découvert, celle du spectateur idem. La série survit en restant ainsi sur la corde. Et puisqu’il faut bien qu’elle progresse, c’est en resserrant autant que possible le nœud, en introduisant au plus près de la petite voix de Dexter une voix extérieure à deux doigts de comprendre enfin que l’expert et le tueur sont un seul et même homme. Un collègue suspicieux (saison 1), une maîtresse dangereuse (saison 2), un ami tyrannique (saison 3).

Les séries ne cessent pas d’évoluer dans l’affinité, la ressemblance ou l’identité de deux faces. Ici c’est un expert en médecine légale et un tueur : la fraternité de ces deux visages n’est pas si étonnante puisqu’elles s’entretiennent mutuellement, l’expert en apprend au tueur et le tueur en apprend à l’expert, aussi bien dans les techniques de dissimulation des meurtres que dans le choix des victimes : c’est généralement pour arrêter soi-même un assassin qui échappe à la police que Dexter sort ses outils.

Ce n’est un paradoxe qu’en apparence : la peur d’être découvert assure la pérennité de la série par d’incessantes mises en danger comme le vice assure la routine. A la longue ce genre de manège du normal et du monstrueux finit par saouler. Les mots de scénario qui défient le cliché du tueur en série en disant voyez, je suis comme tout le monde. La petite voix qui répète : je suis Dexter, j’ai maintenant un bébé et pourtant je continue à tuer. N’y a-t-il pas quelque ressemblance entre un accouchement et un bain de sang ? Etc. Dexter est une machine à produire de la routine dans le nouveau.

Fin de la saison 3, Dexter s’apprêtait à être père. La saison 4 s’ouvre par un monologue apparemment sombre du personnage roulant dans la nuit, dans une pesante lumière rouge, et une voix qui réclame le repos que lui apporte généralement un bon meurtre. Parallèlement, un homme prépare un crime dans une salle de bains. Raccord trompeur : Dexter promenait en fait son bébé pour l’endormir, en vain, et une femme mourra bel et bien étranglée dans une baignoire. Mais raccord vendant évidemment la mèche qui brûlera tout au long de cet épisode, et de la saison : un nouveau personnage arrive qui perturbe la routine de Dexter, en attente d’une routine de substitution. L’enfant s’interpose dans les meurtres, les morts s’interposent dans la vie de famille. Créée par James Manos Jr. d’après un roman de Jeff Lindsay, la série multiplie ce genre d’enchaînements grossiers entre deux vies que la série feint d’opposer.

Reste que, pour en être arrivé au succès qu’on lui connaît, et pour qu’on continue à avoir un peu envie de la regarder, Dexter offre d’autres intérêts. Ils sont deux et sont à nouveau liés. La première est la voix de Michael C. Hall. Un peu trop volontairement perverse au départ, elle incarne désormais une fatigue et une sournoiserie aimables, révélant la vraie monstruosité que dégage son personnage : un geek, une bête de calcul. Qu’il ne soit jamais vraiment mis en danger, c’est l’intérêt toujours renouvelé de la série. La seconde est répétée chaque semaine au générique. Il faut une oreille surdéveloppée pour entendre à ce point la voix qui réclame toujours plus de sang. Et cette écoute est comme un œil rasant la matière, un scalpel, une aiguille. Hyper-réalisme de l’écoute, oreille posée sur la chair, qui font depuis le premier générique du premier épisode la qualité visuelle de la série.

par Antoine Thirion
jeudi 1er octobre 2009

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