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#9

 de James Mangold

Wolverine : le combat de l’immortel

Le sixième opus de la saga X-Men s’ouvre sur une impressionnante restitution de la chute de la bombe sur Nagasaki. Arrivée de l’avion, hara-kiri des généraux, silhouette noire de l’obus sifflant dans sa chute sur le village de pêcheurs... Champignon, cercles de poussière et ravage sur les chairs d’un homme, Wolverine, mutant dont les plaies se referment instantanément. L’épisode s’intitule en véo The Wolverine, tout court : son séjour nippon permet en effet à Logan – nom humain du personnage, tiré des logs, les bûches qu’il taillade au Canada pour passer sa colère de simple bûcheron – de fréquenter un pays qui lui ressemble, terre de la résilience par excellence. Il n’est pas seulement chez lui, mais face à lui, lorsqu’il découvre le port reconstruit de Nagasaki. The Wolverine s’inscrit ainsi dans la lignée de Man of Steel, World War Z ou Pacific Rim, qui semblent digérer, en les digitalisant, les pires catastrophes historiques. Et ce n’est sans doute pas complètement une coïncidence si le 17 juillet, Hiroshima mon amour ressortait sur les écrans, véritable antidote au milieu des destructions numériques de villes entières : tu n’as rien vu à Hiroshima, et à Nagasaki non plus, quoi qu’en dise Hollywood.

Aux commandes de la mascarade, James Mangold, en passe de devenir le spécialiste d’héros usés. Dans Night&Day, il revitalisait Tom Cruise, condamné comme Wolverine à hanter les films, toujours le même, toujours indestructible : d’Entretien avec un vampire au Dernier Samouraï, en passant par le récent Oblivion, il reste un ronin sans vrai combat, sans repères, sans raison d’être. Héros usés, images errantes. C’est cependant un autre héros fatigué de naissance, Indiana Jones, qui faisait face à la bombe nucléaire au début du dernier volet de ses aventures, où il virait vieille machine pour de bon – comme si la contemplation du champignon nucléaire suffisait à saper le héros de sa foi en lui-même, comme si celui-ci le confrontait à son impuissance (voir aussi Watchmen). Immortel comme Tom Cruise, irradié comme Indiana Jones, mais aussi migraineux comme John McClane, vulnérable comme Superman, Wolverine est le héros idéal de la nouvelle manie hollywoodienne de l’empilement, inaugurée avec le carton d’Avengers l’été dernier. Lors du ComicCon de San Diego, rassemblement de blockbusterophiles organisé du 18 au 21 juillet dernier, l’annonce a été faite d’un film à venir réunissant Batman et Superman. Une annonce à peu près aussi alléchante que celle d’une pizza au kebab. Pendant ce temps-là, Steven Spielberg et George Lucas jouent les petits vieux du Muppet Show et annoncent l’implosion du système : on serait presque tentés de les croire. Mais si la manie de l’empilement se retrouve entre les mains d’humbles orfèvres comme Mangold, ou nourrissent au contraire une esthétique de la difformité et de la démesure comme celle de Del Toro, cette implosion pourrait avoir de beaux côtés.

Wolverine est à la fois l’idéal et l’incarnation du blockbuster, toujours prêt à guérir pour recevoir de nouvelles balafres, de nouvelles guerres à fleur de peau. Lors du climax d’X-Men 3, en 2006, on le voyait escalader une sorte de Calvaire qui le laissait déchiré au sommet, contraint de crucifier Jean, sa bien-aimée, mutante surpuissante devenue folle de rage - on la retrouve ici, sous les traits de Famke Janssen en nuisette, nimbée de lumière, obsession amoureuse dont se défait peu à peu le héros, comme s’il fallait ajouter le DiCaprio de Shutter Island et d’Inception aux pastiches endossés par Jackman. Tout est là : Wolverine est un concentré de souffrances. Le passage de la bombe nucléaire sur ses chairs, il l’intériorise. Elle prend la forme d’une culpabilité, d’une rage rentrée. Et Mangold de s’intéresser à ce qui blesse à l’intérieur plutôt qu’en surface. Ainsi, le film n’atteint pas son apogée lors d’un combat cruisien sur le sommet d’un TGV, mais sur un lit d’hôpital, où le héros fouille sa propre cage thoracique à la recherche du parasite noir qui lui suce le coeur, suivant le trajet de sa main sur les écrans où s’affichent les images des rayons-X. On reste dans le schématisme des fables, des paraboles, des comics et des contes.

Peu après a lieu une sorte de hara-kiri inversé où Wolverine en silhouette, dessiné à l’encre noire sur un fond de pluie blanche, s’ôte du torse un katana. Adapté d’un comics du dessinateur de génie Frank Miller, le film fait confiance à ses images. Son charme tient aussi à ses personnages féminins, et les journaux américains n’ont pas manqué de remarquer qu’on tenait là le seul blockbuster dans lequel deux femmes discutent entre elles d’autre chose que d’un homme, réussissant ainsi le “test de Bechdel”. L’hyper-viril Jackman se retrouve ainsi encadré par son obsession (Famke Janssen), son garde du corps (Yukio, une Mercredi Addams japonaise capable de prédire la mort des gens - incarnée par Rila Fukushima, ça ne s’invente pas), sa protégée (Tao Okamoto, alias Mariko, dont on retient la façon dont elle promène ses doigts, l’air absent, sur les griffes de la bête) et une spectaculaire cancerologue cracheuse de venin (Svetlana Khodchenkova, top-model russe changé en femme-reptile, à l’instar de Natalia Vodianova dans le Choc des Titans - bonjour l’inconscient collectif).

Ce goût de la modestie s’applique enfin à la 3D, plutôt belle et bien employée, d’un travelling sur une salle de jeux où la profondeur clignote entre les rangées, à quelques plans de la ville (une sortie de tunnel notamment), en passant par les plans cadrés au plus près des visages et des sueurs. Pour en profiter cependant, pas de blagues : la 3D ne fonctionne pas si l’on s’éloigne de l’écran. A la profondeur factice de l’illusion d’optique s’ajoute alors la profondeur réelle de la salle de cinéma. La seconde ne fait qu’accentuer le moindre degré de réalité de la première. En revanche, au pied de l’écran, seule la profondeur factice est visible, sans repère réel pour la désamorcer. Lors d’une scène où Logan se retrouve le dos hérissé de flêches reliées par une corde à leur tireur, un cône apparaît, la pointe au fond de l’écran, et Logan semble traîner à sa suite toute la salle de cinéma, en vraie bête de somme. L’effet marche si l’extrémité des cordes paraît rattachée aux limites de notre champ de vision, et s’estompe si l’on écrase l’image au fond de la perspective de la salle, parsemée de têtes de spectateurs. S’éloigner de l’écran, c’est priver Logan du poids de sa douleur : c’est tout simplement saigner le film.

par Camille Brunel
mercredi 31 juillet 2013

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