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Breaking Bad S04 E01  de Adam Bernstein

Le dernier homme debout

7.5

Et si, en réalité, tout cela n’était que du théâtre ? Gale ouvrant ses cadeaux comme un enfant un matin de Noël, l’homme de main cuisinant fièrement dans les cuves gigantesques et Gus, mutique, l’égorgeant de sang-froid devant nos deux héros : cela ne vous paraît-il pas un peu beaucoup ? Tour à tour, chaque personnage est venu faire son numéro dans le lieu consacré. On se souvient de l’épisode où une mouche, dans la saison précédente, investissait le laboratoire, obligeant Walt et Jesse à lui courir après pendant près de cinquante minutes : l’endroit est assez vaste pour qu’on y joue un spectacle, et clos, si bien que le moindre son s’y répercute au centuple. Rien d’étonnant à ce que les scénaristes de Breaking Bad aient choisi d’en faire le décor du dénouement provisoire qui ouvre cette nouvelle saison. Plutôt qu’une fusillade ou une poursuite, l’épisode nous offre une nouvelle confrontation en huis-clos, avec grandes répliques, silences et sentences définitives. La cave où se fabrique la métamphétamine est une scène parfaite pour toutes les démonstrations de force, et le patron des Pollos Hermanos y est à son aise comme Tony Soprano chez Satriale’s, ou Omar Little dans les rues de Baltimore. Peu importe les dimensions du cadre, du moment qu’il se prête à la démesure des caractères qui l’habitent. La simplicité avec laquelle les personnages de séries règlent leurs comptes les rend d’autant plus impressionnants. L’économie du show impose d’admirer chaque parade et chaque geste, laissant à chacun le soin de colporter la légende. Dans son excès, la télévision se souvient alors d’une idée abandonnée par le cinéma, qui ne s’y retrouvait plus, et nous invite à faire entrer les vieux mots de mise en scène dans son vocabulaire.

Le quotidien des personnages de Breaking Bad est trop modeste ou trop extraordinaire pour qu’il soit nécessaire d’en rajouter. Aucun effet de style, dans le dernier épisode en date, qui retarde ou décompose l’action. Ou alors un seul, bref mais étrangement voyant : après que le coup de feu fatal a retenti une seconde fois à nos oreilles, Jesse s’immobilise en tremblant. Le truc est vieux comme le monde ; c’est celui qu’utilisait encore les films hollywoodiens dans les années cinquante pour signifier qu’un personnage sombre ou s’extirpe d’un long sommeil. Lorsque, quelques minutes plus tard, nous retrouvons Jesse au volant de sa voiture, il est dans un état de quasi-aphasie. Il lui faudra attendre les dix dernières minutes de l’épisode pour en sortir, et parvenir à dire deux mots. Un an a passé, et la série doit sortir tous les personnages de leur torpeur pour une nouvelle saison : Skyler, en robe de chambre, que sa sœur réveille ; Saul, barricadé dans son cabinet, n’entendant plus personne ; et Hank, prisonnier de son lit, qui rechigne à enlever sa grimace de son visage. Walt est le seul que ses aventures n’aient pas encore épuisé. Face à ceux qui n’attendent qu’un ordre pour le tuer, il continue à raisonner, avançant arguments et hypothèses comme s’il était extérieur à la scène. Venant aux secours des scénaristes, il réfléchit à la meilleure façon de mettre fin au suspense. Sorti d’affaire, il veut débriefer son partenaire et mettre au point un plan d’action, sans voir que celui-ci a seulement besoin d’un petit-déjeuner. Quand, devant Skyler, il semble enfin se rendre compte de ce qui s’est passé, il est trop tard pour s’en étonner. Il n’a plus qu’à aller se coucher, et reprendre dès le lendemain son rôle. Toute l’histoire de la série est là : l’homme qui rentre chez lui a peine à croire qu’il est devenu un personnage de comédie.

par Martial Pisani
lundi 1er août 2011

Titre : Breaking Bad S04 E01
Auteur : Adam Bernstein

Avec : Bryan Cranston, Aaron Paul, Giancarlo Esposito, Jonathan Banks.

Durée : 50 mn.
Première diffusion (USA) : juillet 2011.

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