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La Sirga  de William Vega

L’Auberge sur la lagune

6,7

Les films issus de la dernière sélection de la Quinzaine 2012 se suivent et ne se ressemblent pas. Après No, ses constructions analytiques solides, ses ambitions documentaires, La Sirga apparaît comme un îlot d’abstration où les symboles flottent au gré du vent, où presque rien ne se dit, où ce que l’on voit entreprend rarement de ne faire qu’un sens.

On se joint au parcours, ou l’on décline. J’y entre. Par les yeux : les images de La Sirga, déliées de tout utilitarisme narratif, se succèdent et dessinent entre deux échos le paysage rempli d’âme de la lagune chilienne. La photographie est merveilleuse, la composition des plans et les jeux de lumières ont une finesse digne des images de Steve McCurry. La palette est moins vive, des verts, des gris, des terres noires, toutes les teintes salies de coulées d’ombre et de boue, troublées de vitre en vitre, concentrant l’or des bougies.

La logique photographique est poussée au maximum. La vie quotidienne s’offre à voir en natures mortes, le moindre chou préparé pour la soupe se doit d’être filmé, sa couleur, sa texture mises en scène avec autant de soin que les regards intenses de l’héroïne.

Le portrait se confond avec le paysage, qui n’est jamais décor. Alicia, seule rescapée d’un incendie criminel, trouve refuge chez son oncle, dans une auberge décrépie au coeur de la lagune, loin de tout. Entre les lieux et elle se développe un rapport étrange, qui tient à la fois de l’inclusion, de l’étrangeté confirmée par mille détails, et de la possession mutuelle. Devant l’auberge, l’immense étendue d’eau, et la petite plage où, la nuit, elle vient enfouir des bougies allumées de sa main décidée de somnambule. Dans l’auberge, des chambres interdites, et des cloisons qui s’ouvrent comme des portes, pour faire cadre à nouveau : sur le corps dénudé de la jeune femme où s’égarent des yeux d’hommes — son oncle et le fils de son oncle, par l’interstice entre deux planches.

On se lasserait vite à réciter ainsi les symboles, comme on récite le chapelet, grain par grain, avec une variation tous les dix poèmes. Il y a dans le cheminement de La Sirga quelque chose de la transe mystique, une transe à froid, où tout est immédiatement senti comme au-delà des mots. C’est qu’il n’en est guère besoin pour comprendre ce dont on parle : une Genèse à rebours du péché originel. Un nulle-part noyé, à la fertilité toute grise, désespérant dans sa splendeur : l’Eden. L’Adam : incestueux, ou mort, le coeur pourrissant dans la vase. Triste et grave, sa nature enclose dans un corps alenti, gagné à la lourdeur des eaux dormantes, et comme elles gracieuses, en sommeil : la Nouvelle Eve.

par Noémie Luciani
mercredi 1er mai 2013

Titre : La Sirga
Auteur : William Vega

Scénario : William Vega

Avec : Joghis Seudin Arias, Julio Cesar Roble, Floralba Achicanoy, David Fernando Guacas, Heraldo Romero

Image : Sofía Oggioni Hatty

Son : Cesar Salazar

Montage : Miguel Schvedfinger

Producteurs : Oscar Ruíz Navia, Issan Guerra, Edgar San Juan, Sebastian Sanchez, Jaye Galicot, Thierry Lenouvel

Production : Contravía Films, Ciné Sud Promotion, Film Tank, Puntoguionunto

France, Mexique, Colombie.

Durée : 1h34.

Sorti le 24 avril 2013

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