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Cannes 2014

Les indispensables

Pour n’importe quelle revue de cinéma, Cannes est un rendez-vous incontournable. Pour Independencia, Cannes est aussi un anniversaire. C’est ici que le site a été mis pour la première fois en ligne, il y a cinq ans, depuis le poste wifi d’un Macdonald, après plusieurs tentatives ratées de capter des réseaux gratuits ailleurs dans la ville...
Les débuts sont toujours romantiques. Les fins peuvent être tragiques. Entre ces deux temps, avec un peu de chance, il y a de la place pour des moments de comédie. Celle qui se joue entre notre revue et la société qui porte le même nom, par exemple, en est une. Pourquoi avoir fondé une société d’édition-production-distribution ? Au début, l’idée était claire. Du moins dans ma tête. J’étais persuadé qu’aujourd’hui, écrire ne suffit pas. Et que faire de la critique veut dire se doter des moyens d’intervenir, ne serait-ce qu’à une petite échelle, dans l’industrie du cinéma.

J’imaginais alors une société pouvant être une sorte de bras armé de la revue. Armée surtout de bonnes intentions, elle aurait étendu la chronologie des rubriques du site – direct, actualité, interventions, séries – par des onglets supplémentaires : édition, production, distribution... Un cinéaste découvert en « direct », chroniqué en « actualité », objet d’une « intervention » ou d’une « série », aurait pu être aussi produit et distribué en salle... Cela a marché pendant quelque temps. Nous avons édité un livre de Pierre Creton et produit ensuite son film, distribué un film de Sylvain George... Mais très vite la société est devenue une entité autonome. Ceux qui y travaillent, à juste titre, ont commencé à faire leurs propres choix, à ne plus être réceptifs aux nôtres. Que ces choix nous plaisent (c’est souvent le cas) ou nous déplaisent (cela peut arriver aussi) ne change rien à l’affaire. Il s’agit désormais de deux entités séparées, qui travaillent dans la plus totale autonomie.

Faut-il parler d’échec ? Certes, ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé les choses. Ce n’est donc qu’un échec personnel. La revue, elle, existe. C’est-à-dire qu’elle évolue. Comme nous ont récemment écrit les amis de la société, Independencia « n’est plus un autre lieu de pensée des oeuvres, à la croisée de plusieurs champs, mais un espace critique parmi d’autres ». Antoine Thirion, qui a fondé avec moi la revue, le pensait aussi et c’est pourquoi, en nous annonçant, l’année dernière, son envie d’arrêter d’écrire, il exprimait le souhait que l’on ferme la revue ou bien qu’on la rebaptise. Sur un point, j’étais d’accord avec lui : Independencia est une revue parmi d’autres. Pourtant, contrairement à Antoine, je m’en réjouis, non pas par esprit de contradiction, mais parce que j’estime que l’indépendance qui se réalise dans l’isolement n’est qu’un leurre ; et que la véritable indépendance est un programme qui ne s’accomplit que lorsqu’on est capable d’être libre au milieu des autres. C’est pourquoi, aujourd’hui, Independencia porte encore mieux son nom qu’à ses débuts, lorsqu’elle était toute seule. Le texte de Camille Brunel sur le festival de Brive, avec sa description précise et sincère de la place d’un critique dans le milieu du cinéma, le montre d’ailleurs très bien.

Independencia vit sa vie, grâce au travail de ceux qui, depuis quelques années ou quelques mois, en animent les pages. Elle s’éloigne des intentions et des expériences qui étaient à son origine. Elle reste par là fidèle à la seule idée qui me semble vraiment indispensable. J’ai toujours pensé que la force d’une revue était dans sa capacité à faire place à de nouvelles générations et à les doter d’instruments nécessaires à exprimer librement de nouvelles idées et sensibilités. Comme dans le passé, ce seront les films qui nous guideront. À Cannes on en rencontre de trois types. Ceux qui nous restent en tête pendant une heure. Ce sont les films bien. Ceux qui nous restent en tête pendant un jour. Ce sont les films très bien. Et ceux qui ne nous quittent jamais. Ce sont les films indispensables. À ces derniers, nous serons toujours fidèles.

Le lecteur m’excusera si j’ai abusé de sa patience pour relater des affaires internes. On dit que pour savoir ce qui se passe à Libération il faut lire le Monde. Pour savoir ce qui se passe au Monde il faut lire Médiapart. Independencia est une petite revue et nous devons tenir notre propre chronique… Ce soir, on aura quand même eu le temps de voir les deux premiers films du festival. Grace de Monaco d’Olivier Dahan raconte comment Grace Kelly a eu raison du Général De Gaulle. Timbuktu d’Abderrahmane Sissako raconte l’application de la charia au Mali. Aucun des deux n’est indispensable.

[à suivre...]

par Eugenio Renzi
mercredi 14 mai 2014

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