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As mil e uma noites - Volume 1, o inquieto de Miguel Gomes

8.0

Avec le film de Desplechin, le premier volume des Milles et une nuits de Miguel Gomes est le film le plus beau et le plus stimulant vu jusqu’à maintenant. La réussite de ces deux films vient de leur faculté à épouser quelque chose qui les dépasse, mais qui se déploie dans l’ampleur d’une narration complexe, aux registres multiples. Le Desplechin utilisait les chemins de traverse de la mémoire pour décortiquer des sentiments indicibles, aussi propices à la comédie qu’au mélodrame. Le film de Gomes utilise le schéma narratif des Milles et une nuits pour parler d’une réalité qu’il dit ne pas pouvoir éviter en tant que Portugais : la crise économique, et les conséquence du plan d’austérité de l’union européenne sur le peuple portugais.

Gomes commence justement par décrire l’embarras dans lequel le plonge l’ambition de son projet. Dans un prologue, il se met en scène avec l’équipe de son film, près d’un chantier naval sur le point de fermer. Il explique en voix-off vouloir à la fois raconter des histoires séduisantes, capable d’enchanter son auditoire, et faire un film militant, donnant la parole aux portugais de son temps. Après avoir décrété ces deux ambitions incompatibles, il fuit à toutes jambes son propre tournage. Cette note humoristique qui ouvre le film, juste avant un long plan sur les ouvriers du chantier naval contemplant un bateau en partance, contredit le réalisateur par les faits. Le ton est là, avec cette équipe de tournage qui est plus ou moins la même que celle de Ce cher Mois d’août, et ces images silencieuses commentée par des témoignages d’ouvriers anonymes.

Un carton annonce dès le début que le film n’adapte pas les Mille et une nuits, mais est simplement “inspiré par sa structure”. La structure en question est faite d’histoires enchassées, utilisant comme dans Tabou le pouvoir romanesque du récit dans sa forme la plus dénudée : une personne raconte une histoire. Cette situation qui fait de chaque personnage un narrateur en puissance permet à Gomes de fabriquer sa mise en abyme. Le réalisateur-narrateur raconte sous la menace l’histoire de Schéhérazade, qui raconte trois contes mettant en scène des portugais des années 2010, qui eux-même prennent la parole, et ainsi de suite. C’est autour de ce pouvoir évocateur de la parole que s’articule le film, permettant à Gomes de tenir ensemble ses deux ambitions : décrire ce qui se passe dans son pays en faisant parler les gens, et tenir ses spectateurs en haleine comme autant de sultans pris dans une histoire sans fin.

Le premier des trois contes est une fantaisie hilarante, qui ne ressemble à rien de ce qu’a déjà fait Gomes, avec des dignitaires de l’union européenne et du Portugal qui négocient le pourcentage d’endettement de l’état. Le second conte a pour personnage principal un coq qui chante trop tôt, dans un petit village portugais. Une campagne électorale, un procès de basse cour, des amoureuses pyromanes : on est bien dans le même pays que ce Cher mois d’août. Le dernier conte, plus dramatique, suit un maître nageur cardiaque qui organise le “bain des magnifiques”, baignade hivernale sous la pluie. Dans cette dernière histoire, Gomes donne à entendre le témoignage filmé en plan fixe de quatre “magnifiques” : chômeurs, déclassés ou vagabonds. L’incroyable inventivité formelle déployée par Gomes semble n’avoir qu’un but : faire parler les images et taire ce qui peut être dit par un simple plan.

***

A Perfect Day de Fernando León de Aranoa

3.9

A Perfect Day est une sorte de Rois du désert avec une ONG à la place de l’armée américaine et les Balkans à la place de l’Irak. Le casting fait très pub pour l’ONU, avec Benicio Del Toro, Tim Robbins, Melanie Thierry et Olga Kurylenko. Le résultat est indéniablement drôle, mais au prix de ficelles quand même très grossières : le film se passe “quelque part dans les Balkans” (on n’en saura jamais plus), la population locale est composée de semi-demeurés, et Del Toro passe son temps à apprendre la vie aux deux filles perdues dans ce monde de brutes. L’usage immodéré de rock qui tache pour relancer le film toutes les dix minutes nuit gravement au côté cool qu’il essaie de se donner.

par Timothée Gérardin
dimanche 17 mai 2015