Cannes 2011 #10

Cinq à la quinzaine

Quinzaine des réalisateurs

Porfiro de Alejandro Landes. 5

Porfirio, c’est son nom, est en chaise roulante depuis qu’il a reçu dans la colonne vertébrale une balle perdue tirée par un policier. On ne connaîtra jamais les causes de l’accident : habitant comme les autres d’une ville sans nom, Porfirio Ramirez est le héros quelconque d’un drame national. Attendant en vain l’indemnité promise par l’état colombien, il est condamné à rester assis pour entendre ce que les autres se disent au téléphone. L’idée du film est de convertir cette immobilité forcée en geste politique, le handicap en bravade : devant les murs nus de sa maison, le corps imposant de Porfirio s’expose comme une œuvre d’art. Au bout d’une heure, Porfirio décide de transformer le défi en menace, de devenir une arme plutôt qu’un objet en vitrine. Avouant ainsi son impuissance, le film ne cache pas la déception de celui qui n’aura même pas réussi à déranger ceux qu’il a embarqué avec lui.

The Other Side of Sleep de Rebecca Daly. 5

Arlene se réveille un matin dans une clairière, les mains recouvertes d’ecchymoses en signe d’une lutte passée. A ses côtés repose un corps sans vie. La séquence suivante montre la jeune femme appliquée à découper des pans de tissu sur une roue dentelée. A l’usine, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre : une collègue vient d’être retrouvée assassinée. Arlene est bouleversée ; par inadvertance les doigts se rapprochent un peu trop près de la scie. L’accident est évité de justesse. Suspens. Autre séquence : sous la douche, Arlene laisse le jet d’eau asperger ses cheveux. Le plan rappelle Paranoid Park de Gus van Sant. Le ralenti et les bruits assourdis de la bande-son traduisent la confusion de celle qui n’a pas encore pris conscience de la gravité de son crime. Plus tard, une soirée au pub en compagnie de la future victime suggère l’hypothèse d’une linéarité bouleversée du récit, où séquences passées et présentes se superposent sans recours aux artifices du flashback. Hypothèse vite réfutée par la suite du découpage : exposé dans sa stricte chronologie, le fait divers meurtrier échange le mystère des énigmes van santiennes pour le psychologisme d’une affaire de tabloïds. Aux yeux de la réalisatrice et de sa caméra, le personnage principal est d’abord et surtout un cas pathologique, une somnambule en proie à des pulsions violentes que seul un éveil forcé peut étouffer temporairement. La part cachée du sommeil qui hante Arlene dans ses heures de conscience est signalée par des pointes sonores diffuses qui annulent l’ambiguïté de la situation plutôt qu’elles n’en prolongent le malaise. L’héroïne est en définitive moins une somnambule qu’une insomniaque contrainte, comme si un vampire se refusait à quitter son cercueil pour ne pas succomber aux plaisir de la chair. Ce n’est hélas pas le plus séduisant des scénarios.

La Fin du silence de Roland Edzard. 5

Le décor est celui d’un western minimaliste : isolée des hommes, encerclée par la forêt et surplombée par la roche, la ferme où vit la famille de Jean fait une cible parfaite pour le tireur caché dans la montagne. Plus loin, dans la montagne, une autre maison abrite Nils, à la tête d’un clan de chasseurs. Les deux habitations sont reliés par une route et liés, c’est le drame, par les liens du sang. La forêt vosgienne est belle mais ne se laisse pas regarder : elle a quelque chose à dire, pressée comme les autres de dévoiler son grand secret. Les acteurs se débattent alors qu’il n’y a rien à faire ; le scénario tragique est toujours le plus fort, justifiant l’hystérie aussi bien que la brutalité. La violence, c’est connu, n’est jamais que l’explosion d’un non-dit : pas de plus mauvais psychologue que celui qui veut justifier son absence de psychologie.

Retourn de Liza Johnson. 5

Première déception de la sélection. Et pourtant, le plaisir était grand de voir réunis à l’écran Linda Cardellini – l’héroïne de Freaks and Geeks – et Michael Shannon, si drôle dans My son my son what have ye done de Werner Herzog, Bug de William Friedkin ou Boardwalk Empire de Terrence Winter. Mais Return n’est pas une comédie. Son sujet interdit le rire : après plusieurs mois passés en opérations sous le drapeau américain, une mère de famille retrouve les siens. Mais le traumatisme de la guerre et les écarts conjugaux du mari perturbent peu à peu l’harmonie du foyer. Le grand sujet des fictions post Vietnam est ici traité dans un scénario contrarié dont on ne sait s’il veut faire passer son héroïne pour une victime de l’engagement américain en Irak ou une militaire exemplaire subissant l’incompréhension de ceux restés au pays. L’enfer du vétéran a bien changé depuis le Vietnam : ce n’est plus du silence que souffrent ceux qui reviennent d’Irak ou d’Afghanistan mais de la psychologie de comptoir qui obligent leurs proches à vouloir à tout prix les faire parler. Return : tout est dans le titre, c’est à la fois le drame du retour au pays et celui de la remobilisation. Le film renvoie dos à dos les responsabilités de l’officier et celles de la mère de famille, faisant du foyer un champ de bataille, et inversement. Le récit n’a de cesse de faire des demi-tours, d’annuler l’élan impulsé pour revenir sur ses pas. Kelli, c’est ce que tout le monde lui reproche, ne sait pas ce qu’elle veut. Elle est aussi peu pressée de retrouver l’adrénaline du combat que de reprendre sa place à l’entrepôt et son rôle d’épouse dévouée. Menant une lutte sans objectif, la jeune femme poursuit chez elle une guerre commencée à des milliers de kilomètres. Quand elle comprend que ses enfants non plus n’ont pas besoin d’être sauvés, la jeune femme capitule. Entre la Sun Belt et le Moyen-Orient, elle a seulement découvert une chose simple : qu’aucun des deux terrains ne justifie ce que l’on vit dans l’autre.

Code Blue d’Ursula Antoniak. X

Partis au bout de quarante minutes environ, lorsque l’héroïne se masturbe avec un préservatif usagé trouvé sur la scène d’un viol. Lassitude face à cet énième scénario d’agressions fantasmées, comme si la seule aventure qui puisse arriver à une femme était de se faire violer. Peur d’assister à un nouveau film programmé d’avance, ni trop radical ni trop commercial. Un parfait entre-deux, un pur scénario filmé, balancé entre la démonstration de force et le glauque revendiqué. Vu en entier, le film aurait sans doute obtenu un 5, la note des films non pas scandaleux, ni déshonorants, mais seulement prévisibles. Troisième raison, enfin : en entrant dans la salle de Code Blue, nous sortions de Play, de Ruben Östlund, passionnant, le seul film jusqu’alors digne de figurer dans une compétition internationale. À demain.

par Arthur Mas, Martial Pisani
dimanche 22 mai 2011

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