Edito #10

9 avril 2010

Il y a une partie invisible de notre travail. Comme sur un iceberg, c’est la plus grande. Elle consiste à suivre les films, pas tous, certains, dans les salles, pas toutes, celles d’art et d’essai. Cela donne une vision de la circulation du film à la fois précise et déformée. Hier on accompagnait La Pivellina à la MJC Jacques Tati à Orsay. Un beau film pratiquement disparu des sites internet, des revues, des quotidiens. Et surtout des affiches dans le métro – ce thermomètre de la fièvre distributive.

Nous avons un rapport spécial avec une autre salle Jacques Tati, à Tremblay en France. Pendant deux semaines, une large rétrospective de cinéma italien (fictions et documentaires) a occupé la salle. Aucun quotidien ou revue n’a relevé le passage de La bocca del lupo (grand prix de Turin 2009 et de Berlin 2010) ou de La paura de Pippo Del Bono ou de Lo spazio bianco de Francesca Comencini (nous non plus d’ailleurs, il est difficile d’être dans un mouvement et d’en parler au même temps). En revanche, la presse s’est longuement penchée sur Tremblay en France, peignant une ville monochrome : noir cramé de bus, noir de flics, noir des noirs. Aucun journaliste n’est venu voir si par hasard dans la ville il y avait autre chose (pas seulement le cinéma d’ailleurs). Il aurait trouvé une communauté qui se déplace et se réunit pour discuter de cinéma. Quelque chose de rare. La presse n’est pas venue. En revanche, grâce aux articles du Monde et de Libé, plusieurs spectateurs parisiens ont appelé pour dire que non, ils n’allaient pas se risquer au Vietnam. Merci Libé, merci Le Monde. Du sérieux, du travail.

Les films passent trop vite. Nous ne faisons pas exprès d’en rater tant. Ce n’est pas seulement une question d’emploi du temps. Ecrire sur White Material par exemple. Nous l’avons vu à Venise. Et savons qu’il mérite un pamphlet. Mais il y a des textes qui grandissent lentement. Qui attendent des discussions. Le film de Claire Denis nous déplaît. Mais nous en sommes à souhaiter qu’il ne passe pas trop vite, que quelqu’un le voit afin qu’on puisse en discuter. À quoi bon lancer un pamphlet dans le vide ?

par Rédaction
vendredi 9 avril 2010

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